Un saint innocent. L'histoire est connue. Elle commence comme un conte de fées pour midinette cultivée. Un jour à Paris, sur le pont des Arts, une jeune fille rencontre un Américain à peine plus âgé qu'elle, un peu clochard céleste, qui joue du Dylan sur sa guitare. Intriguée, sans doute déjà séduite, elle engage la conversation. Le jeune homme lui avoue écrire un roman qu'il peine à éditer dans son pays natal. Une idylle se noue et, bientôt, le père de la fille, un célèbre écrivain français, dépose le manuscrit en question aux bons soins de sa propre maison d'édition. Celle-ci, stupéfaite devant la beauté baroque et furieuse du texte, le publie, entouré d'une rumeur de chef-d'œuvre, et dans la foulée, le monde entier − dont les USA, finalement − s'en empare. Ce livre fou, monstre, fascinant, c'est Le seigneur des porcheries, son auteur Tristan Egolf, l'éditeur Gallimard, l'écrivain Patrick Modiano et sa fille, Marie (devenue depuis, à son tour, chanteuse et romancière). Fin du conte de fées, début de la légende noire et de ce qui se révélera surtout une tragédie. Le couple se sépare, deux autres livres seront publiés dans une indifférence que justifie une certaine gêne face à leur faiblesse. Egolf se partage entre Paris, New York et la Pennsylvanie. Quelques années durant, il suit à tombeau ouvert sa pente tragique et finit, presque déjà oublié, par se suicider dans sa ville de Lancaster, Pennsylvanie, à l'âge de 33 ans.
L'âge du Christ serait-on tenté d'ajouter, car il y a en effet quelque chose de presque christique dans la trajectoire trop brève, la vie furieuse et violente d'Egolf. Une inexorable montée au calvaire. Mais pour en dire quelque chose, pour en exposer aussi précisément que possible les tours, les détours, les tourments, il apparaît nécessaire de se garder de toute la mythologie qu'engendre le destin de ce garçon entre Malcolm Lowry ou John Kennedy Toole et Kurt Cobain. C'est ce à quoi s'attelle Adrien Bosc avec L'invention de Tristan, dont la justesse et l'équanimité impressionnent. Même si ce livre, qui met en scène Zachary, un autre Américain un peu perdu à Paris, fact checker au New Yorker, se présente comme un roman, c'est bel et bien une balade biographique, empathique et endeuillée, dont il est question en ces pages signées par un fin connaisseur du milieu littéraire puisque Adrien Bosc est le fondateur des Éditions du Sous-Sol et patron de Julliard. Il ne s'agit pas ici de résoudre une énigme mais de se tenir au plus près d'elle. Tristan Egolf était un mal parti, avec un père écrivain sans œuvre, mort lui aussi très jeune d'une overdose sans doute volontaire, et l'ombre d'un grand-père héros irréprochable de la Seconde Guerre mondiale. Le tout en pays amish. Sa quête n'était sans doute que de pureté comme celles que mènent toujours les saints innocents tombés au front des vies invivables... Restent les livres. Un au moins. Deux avec celui-là.
L'invention de Tristan
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Tirage: 8 500 ex.
Prix: 20,50 € ; 256 p.
ISBN: 9782234099395