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Mon grand-père, ce héros

Stefan Hertmans - Photo Michiel Hendryckx/Gallimard

Mon grand-père, ce héros

S’inspirant du journal de son aïeul, le romancier et poète flamand Stefan Hertmans "réécrit" les Mémoires d’un homme marqué par la Première Guerre mondiale et le souvenir de son père peintre.

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Par Sean James Rose
avec Créé le 18.09.2015 à 02h03

Pendant des siècles, l’art se résumait à cette notion héritée de l’Antiquité : la mimésis, l’imitation de la nature. L’arrivée de la photographie a fichu du plomb dans l’aile à l’ancienne théorie de la peinture. Impressionnistes, cubistes, surréalistes, chacun apporta sa réponse esthétique. Fadaises ! Le grand-père de Stefan Hertmans pense que les peintres d’aujourd’hui ne sont que des klakpotters, des "bricoleurs du dimanche", "qui peignent avec l’autre extrémité du pinceau" : l’art a pour seul principe de reproduire fidèlement la création de Dieu.

L’homme auquel le poète, romancier et essayiste flamand consacre son nouveau livre, Guerre et térébenthine, quoiqu’il eût un travail aux chemins de fer à côté, avait voué toute sa vie à cet art de la figuration, voire de la copie. Quand ce n’était pas un Rubens ou un Titien qu’il répliquait sur la toile, c’était jusqu’au moindre détail un paysage des environs de Gand, la vue de sa fenêtre : "un méandre du Bas-Escaut, les prés, les vaches paresseuses, les péniches de transport fluvial profondément enfoncées dans l’eau passant à faible allure le matin". L’auteur de Comme au premier jour (Christian Bourgois, 2003) se souvient très bien de ce grand-père maternel affublé d’un borsalino, d’une chemise blanche et d’une immense lavallière noire ; à ses yeux d’enfant, c’est son héros : celui qui lui apprend l’escrime ou à dessiner l’aspect ouateux des nuages.

Outre la peinture, l’autre grand sujet d’Urbain Martien (prononcez "Martine", version flamande du nom Martin) né en 1891 et mort en 1981 est le conflit qui plongea les prémices du siècle précédent dans un bain de sang. Peu de temps avant sa mort, il remet à son petit-fils ses cahiers, "dix-sept années de travail pour produire au total six cents pages d’écriture". L’écrivain découvre alors combien Urbain avait été marqué par l’horreur des tranchées de 14-18 et la disparition prématurée d’un père adoré, peintre de fresques d’église. Misère de l’enfance, travail à l’adolescence dans une fonderie, trauma de la guerre mais aussi grand amour perdu, Maria Emelia Ghys, joyeuse fiancée emportée par la grippe espagnole et dont il épouse la taciturne aînée, Gabrielle, la grand-mère de l’auteur. Ainsi se dessine avec minutie l’autoportrait du grand-père. Et pourtant, quelle est la vérité d’un homme ? En peinture comme en fiction, comment traduire au mieux le réel ? "Ce travail, avoue Stefan Hertmans, me confrontait à la douloureuse réalité de toute œuvre littéraire : je devais d’abord me libérer de l’histoire authentique, la libérer, afin de pouvoir la retrouver à ma manière." Le mystère demeure. Est-ce cela la vérité ? Et des pages de cet objet littéraire hybride - mélange de confessions intimes émaillées d’illustrations, de récit à la troisième personne et de Mémoires du grand-père à la première - se dégage comme un parfum de "nostalgie de l’indéchiffrable". Sean J. Rose

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