Avant-critique Roman

Nicolas Garma-Berman, "L'épaisseur de l'aube" (Belfond)

Nicolas Garma-Berman - Photo © Chloé Vollmer-Lo

Nicolas Garma-Berman, "L'épaisseur de l'aube" (Belfond)

Rentrée littéraire

Dans son deuxième roman, Nicolas Garma-Berman raconte la relation, marquée par le deuil, de deux frères, entre l'Écosse de leur enfance et la Suisse contemporaine.

Parution 22 août

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Par Sean Rose
Créé le 07.08.2024 à 09h00

Frères de drames. L'enfance est un royaume propre à chacun. On a beau la partager avec ses proches, des frères et sœurs, nul n'en a le même souvenir. David, surnommé Ness, l'a passée en Écosse. En partie, seulement. C'était il y a longtemps. Il est encore petit. Quand il a 7 ans, son père Kenneth décide de déménager en Suisse. Ness devient « le gamin de Genève ». Pour Roy, de cinq ans son aîné, c'est différent. Ce grand frère, installé également au bord du lac Léman, garde néanmoins de l'appartement d'Édimbourg et des paysages des Highlands des sensations immarcescibles qui coulent pour ainsi dire dans les veines de son identité. Musicien, il a épousé Selkie, une comédienne originaire des Alpes, avec laquelle il a une fille, Emily. Les brumes écossaises sont loin désormais et le confort helvétique semble avoir enveloppé les deux frères dans la ouate d'une certaine routine. Leur vieux père a été placé dans un établissement où on prend soin de sa santé déclinante et de sa mémoire qui s'étiole...

Survient l'accident : « L'aurore a retiré ses doigts des montagnes pour les poser sur Emily. Mais ce sont des doigts rouges, comme le front de l'enfant et l'eau tout autour, comme le rocher sur lequel Emily a glissé et qui lui a fendu le crâne. » L'épaisseur de l'aube de Nicolas Garma-Berman commence de manière dramatique. La nièce de Ness, tombée dans le lac, flotte sans vie. Et cette mort de ricocher vers d'autres deuils. Mais ce début n'est pas véritablement le début, il y avait eu un faux départ du roman : en incipit, une scène en Écosse, dans l'eau, d'où le petit David ne voulait plus ressortir se prétendant le monstre du loch Ness, ce qui lui valut son surnom... Comme une scène d'exposition au théâtre, la mort d'Emily donne ici tous les ingrédients du drame, qui n'est pas toujours celui qu'on croit, ou qui n'est que l'éternel retour d'une tragédie originelle, intime...

Ainsi se déplie le deuxième roman de l'auteur né en 1981 et vivant à Marseille, en récit à double ellipse, entrelaçant les voix de Ness le cadet et de Roy l'aîné, à l'instar du pendule de l'horloge, balançant entre présent et passé, allant et venant entre Suisse et Écosse. Ce moment où Roy et Ness se rendent en haut de la montagne en quête de Selkie, qui a voulu échapper à sa tristesse et à Genève, fait écho à un épisode ancien de tempête sur une île des Highlands, avec leur mère Isla, qui disparut il y a tant d'années... Sont dépeints avec une formidable acuité les non-dits, la colère tue comme la tendresse ténue entre les deux frères orphelins de leur enfance. Et tout l'art de Nicolas Garma-Berman est d'instiller en nous une vague inquiétude teintée de nostalgie anticipée : on avance dans le livre comme dans la vie avec l'angoisse sourde de la fin inéluctable et du manque irrémissible.

Nicolas Garma-Berman
L'épaisseur de l'aube
Belfond
Tirage: 400 ex.
Prix: 20 € ; 368 p.
ISBN: 9782714404152

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