Silly symphony. Humour absurde, imaginaire décalé, dessin à l'inventivité infinie... Nicole Claveloux, née en 1940, s'est fait remarquer dès la fin des années 1960 pour ses talents d'illustratrice, puis comme autrice de bande dessinée pour enfants. Entre 1976 et 1981, elle fait plusieurs incursions dans la BD pour adultes, seule ou avec la scénariste Édith Zha, dans les pages de Métal Hurlant notamment. Après trois albums aux Humanoïdes Associés, Nicole Claveloux prend ses distances avec le genre pour revenir à l'illustration et à la BD jeunesse. Alors que les éditions Cornélius ont réédité à partir de 2019 ses œuvres pour adultes, sa riche carrière a enfin été récompensée à Angoulême en 2020. Ce regain d'intérêt a donné envie à Nicole Claveloux de réaliser un nouvel album pour adultes... Et quel album ! C'est à une sarabande exaltante que nous convie l'autrice dans Ce soir, c'est cauchemar. On plonge d'emblée dans sa tête, où un certain Charles Chaposec, en charge du département « Logique et raison », veut réaliser un audit de ses rêves, pour « balayer des années de laisser-aller ». Flanquée de l'irritante Moraline Monnereau de la branche « Éthique », Chaposec visite huit rêves en compagnie de la joyeuse équipe chargée de les mettre en place - des personnages hauts en couleur comme Monsieur Rébus, un chien qui ne s'exprime que sous forme de rébus, Loïc Lalune, un enfant rondouillard responsable de l'imagination, ou Madame la directrice (Nicole Claveloux elle-même, chignon flamboyant en pétard)... Chaque rêve possède un univers extraordinaire : verger luxuriant, désert parsemé de statues parlantes d'intellectuels, taudis peuplé de chats et de monstres insectoïdes... Les personnages y déambulent, discutent, tentent de convaincre Chaposec qui contre toute attente se laisse prendre à toute cette irrationalité.

Quel bonheur de s'immiscer dans les rêves de Nicole Claveloux, dans son univers à l'étrangeté ravissante ! On se perd gaiement dans ses planches délirantes, foisonnant de détails, de clins d'œil, de citations, de King Kong à Lovecraft ou Benjamin Rabier. L'autrice n'a rien perdu de son imagination baroque et laisse libre cours à son génie graphique à travers une mise en scène débordant de trouvailles et son dessin en couleurs directes, plein de peps, qui emprunte autant à Winsor McCay qu'à Jérôme Bosch. Sa langue poétique, vibrante, drôle et acide, pimente délicieusement cette ode à l'imagination et à la sérendipité. Nicole Claveloux semble avoir trouvé le secret de la fontaine de jouvence, en dépit de quelques lignes subtiles et mélancoliques faisant allusion à la vieillesse et ses tracas.