Avec Ceux que je suis (Finitude, 2019), son premier roman, beau récit d'une quête d'identité entre la France et le Maroc, Olivier Dorchamps avait fait une entrée remarquée sur la scène littéraire hexagonale et saluée par la critique comme le public ainsi que par nombre de prix. Chacun s'accordant à dire qu'on tenait là un authentique romancier dans la veine naturaliste comme finalement, en dehors du champ du polar, notre pays en compte peu. Cette appréciation ne sera pas contredite, mais plutôt renforcée, avec la publication de ce nouvel ouvrage, Fuir l'Eden, dont son éditeur dit drôlement (et justement) que « c'est une Éducation sentimentale revue par Ken Loach ».

Londres, de nos jours. L'éden en question n'est pas une promesse post mortem, mais plutôt une triste réalité. C'est le nom que porte une cité dans la banlieue londonienne, non loin de la gare de Clapham Junction. Là, parmi une faune hétéroclite de damnés de la terre vit un garçon de 17 ans, Adam, en compagnie de sa jeune sœur, Lauren, et de son père, un homme brutal, violent, alcoolique et raciste. Sa mère, fuyant les coups de son mari, est partie il y a huit ans de cela, sans prévenir, ne laissant derrière elle que des regrets. Adam aurait pu mal tourner, mais son travail de lecteur auprès de Claire, une femme aveugle, lettrée et au fort caractère, l'en prémunit. Il ne sait pas très bien quoi faire de sa vie, si ce n'est s'en aller un jour à Benidorm (où il croit que sa mère a trouvé refuge) ou ailleurs. En attendant, il traîne un peu avec ses amis Ben, un street artist d'origine musulmane et Pavel dit Pav', un beau gosse polonais. Jusqu'à ce qu'un jour sur un quai de gare, Adam ne rencontre son rêve, son Ève, Eva...

C'est tout le prix de ce Fuir l'Eden que ce mélange entre les aspirations romantiques (et qui peinent à s'avouer comme telles) d'un grand gosse, un ange à la figure sale, et la terrible altérité du réel, la souffrance sociale, intime, générationnelle. Le romancier dans une langue forte et débarrassée de toute coquetterie nous attache au destin de ces personnages, par ailleurs remarquablement campés. Il donne à voir et à émouvoir. Joli travail.