8 janvier > Roman Allemagne

Voici venu le temps des enfants, des petits-enfants. Voici venu le temps des égarés. Des perdus corps et biens dans une vie et des souvenirs trop grands pour eux. De ceux qu’assourdissent les silences des survivants. La Shoah, le monde englouti du yiddishland, est désormais affaire de deuxième et de troisième génération. C’est l’affaire de Daniel Mendelsohn (Les disparus, Flammarion, 2007), de Virginie Linhart (La vie après, Seuil, 2012), de Colombe Schneck (La réparation, Grasset, 2012) ou de Göran Rosenberg (Une brève halte après Auschwitz, Seuil, 2014). Parmi d’autres…

Avec son magistral Peut-être Esther, son premier livre (qui a obtenu l’an dernier, en Allemagne, le prestigieux prix Ingeborg-Bachmann), la journaliste Katja Petrowskaja participe pleinement de cette démarche, de cette tâtonnante reconquête d’une identité qui équivaut à pouvoir enfin dire le kaddish sur la tombe des siens. Elle y joint une liberté formelle, paradoxalement allègre, qui l’inscrit aussi pleinement dans le champ de la littérature et peut rapprocher sa démarche de celle du grand W. G. Sebald.

Il serait donc question ici de gens emportés comme fétus dans le vent de l’Histoire, d’exils, de mémoire, de mensonges, de secrets. Née en Ukraine, à l’aube des années 1970, ayant vécu à Moscou, New York, Stanford et désormais à Berlin, Katja Petrowskaja a dû composer avec l’héritage tragique de sa judéité comme celui de l’Empire soviétique. Plus exactement, la gloire de l’un recouvrait l’autre (y compris dans la sphère privée) d’une chape d’oubli. Il y a dans cette histoire dispersée aux quatre coins de l’Europe comme le paradigme du siècle passé. Y errent sans repos et souvent sans nom une arrière-grand-mère (la "possible" Esther du titre) qui va debout vers sa mort, un arrière-grand-oncle qui a peut-être aussi déclenché les hostilités, un homme qui mettra quatre décennies à retrouver le chemin de son foyer… Des dizaines d’ombres errantes et indécises que Katja Petrowskaja ranime avec une grâce infinie comme si elle craignait qu’à peine évoquées elles ne s’évanouissent de nouveau. O. M.

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