Juillet 1999, un cycliste découvre dans le fossé d'un chemin de campagne, non loin de Châteaubriant (Loire-Atlantique), le corps sans vie d'une jeune fille de 19 ans. L'enquête, rapidement menée, fera apparaître que cette élève infirmière a été assassinée quelques jours auparavant par le patron du bar La Louisiane, où la victime avait passé son ultime soirée. Parmi les clients de l'établissement, ce soir-là, un homme installé depuis peu dans la région, habitué solitaire et discret, déclarant volontiers entretenir des relations d'amitié avec le tenancier. Il quittera les lieux quelques minutes avant que ne se déchaîne la folie meurtrière. Si, dix ans plus tard, une émission de télévision consacrée à ce fait divers n'était venue rappeler à cet homme l'imprescriptibilité des cas de conscience, il aurait pu faire ce que l'on fait en général des moments de honte et des mauvais souvenirs, les oublier peu à peu. Au lieu de quoi, puisque cet homme, Alain Defossé, est écrivain, il lui consacre un livre, On ne tue pas les gens, impressionnant de tenue, dans la tristesse comme dans le malaise.
Auteur de sept récits et romans (dont le très beau - et nantais - Retour à la ville, initialement publié chez Salvy en 1995 et réédité en ce début d'année 2012 aux éditions Joca Seria), traducteur de Bret Easton Ellis, John King ou du merveilleux J. R. Ackerley (entre beaucoup d'autres), Alain Defossé nous offre cette fois-ci bien plus qu'un acte de contrition ou son De sang-froid à l'usage des lecteurs de Ouest-France. On ne tue pas les gens est un magnifique requiem pour un pays abandonné à sa nuit et à ses craintes. Ce sont des jeunes femmes qui meurent (deux, puisque l'assassin confessera un crime similaire commis dix ans avant celui de Châteaubriant), c'est aussi la province qu'on assassine, celle de Simenon, de cette douceur un peu terne d'un Ouest rural, de la chanson douce des jours qui passent, des petites villes et de ses enfants laissés aux seuls prestiges de la folie et de la mort. Defossé n'aurait rien pu empêcher de tout cela, ni le crime ni la fin du ou d'un monde. Et cette impuissance le révèle en ce qu'il est : un écrivain que submerge, à l'orée du soir, le chagrin des temps.