27 février > Roman France

Depuis ses derniers livres, de plus en plus personnels, sur Saint-Domingue par exemple, on connaît la profonde empathie de Jean-Noël Pancrazi pour les peuples en souffrance, "loin des yeux de l’Occident", comme chantait Balavoine. Sauf lorsque, tout à coup, immigrés illégaux, ils débarquent ici, enjeux de luttes politiciennes qui les dépassent largement, et dont ils seront, une fois de plus, les victimes.

Jean-Noël Pancrazi- Photo CATHERINE HÉLIE/GALIMARD

Misère chez soi, rejet en France, il ne fait pas bon naître Malien, par exemple. Comme Mady, le Bambara de Fatao, un sans-papiers illettré que le narrateur, un écrivain vieillissant et solitaire, a rencontré, on ne sait trop comment. Au pays, Mady, en dépit de sa petite taille et de sa frêle constitution, était camionneur. Et puis, la situation se dégradant, il a tenté l’aventure, parvenant à Paris où il demeure neuf ans. Des années de galère et de clandestinité, durant lesquelles il a exercé des petits boulots, mais pas assez pour se faire régulariser, ni naturaliser. Sa seule réussite : tomber fou amoureux de Mariama, et lui faire un enfant, Diam’s, qu’il adore. Mais Mariama, elle, est bien intégrée. Elle a un travail, un petit appartement à Montrouge, et la tête sur les épaules. Plutôt que Mady, elle préfère flirter avec l’avocat d’une association d’entraide.

Mady, lui, vit dans un foyer près du Père-Lachaise, autour duquel s’est constituée une espèce de microsociété, de famille, avec le vieux Mamadou, le sage, le flamboyant Issa qui fréquente les bars, Bruno Djia le gigolo, ou William, le travelo drogué. Mady n’est pas tombé dans la délinquance ni dans la prostitution, expédients faciles. Mais un jour, la veille du 14 Juillet, pas de chance, le voilà arrêté par la police, conduit dans un centre de détention, la Zapi de Roissy, en attente de son expulsion imminente. Terminal G, celui des charters du petit matin.

Son ami l’écrivain qui, tombé amoureux du Mali et de Mady, l’a aidé, hébergé, se remémore son histoire, leur histoire, processus qui l’amène à évoquer d’autres souvenirs : son enfance en Algérie puis la détresse de sa famille, modeste, lorsqu’elle est arrivée en métropole, ou ses expériences douloureuses à Saint-Domingue et en Haïti. Le roman se situe sous Sarkozy, mais peu importe, rien n’a changé depuis. Le problème de l’immigration est un cauchemar européen. "Je ne reconnais plus ma France, obsédée par ses quotas", écrit Pancrazi, "le vieux toubab de la Place de la Nation".

Roman, certes, mais à la première personne, Indétectable bout d’une rage sourde, contenue, portée par un style incantatoire. Pas de chapitres, quasiment aucun dialogue, des blocs de texte aux phrases longues, d’où se dégage pour le lecteur une impression étouffante, oppressante, une espèce de malaise. Angélisme et sentimentalisme, reprochera-t-on sans doute à l’auteur. Mais Jean-Noël Pancrazi n’est pas un juge. Juste un écrivain, un homme, indigné. J.-C. P.


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