Romancière prodige qui reçut en 2003, à 19 ans, le prestigieux prix Akutagawa, le Goncourt japonais, pour son deuxième livre, Appel du pied, paru chez Picquier en 2005, Wataya Risa a l’âge de ses personnages : de jeunes Nippons urbains en proie à une totale perte de repères sociétaux, déculturés, dans un Japon lui-même déboussolé, où le matérialisme libéral le plus impitoyable semble avoir remplacé tous les dieux anciens. Des garçons et des filles qui n’ont pas assez de conscience, de maturité et d’énergie pour se révolter. Avec trembler te va si bien, Wataya poursuit, dans la même démarche, une exploration du vide abyssal de la jeunesse japonaise, avec un mélange d’humour féroce et de lucidité dé-sespérante.
Sa triste héroïne, la narratrice, s’appelle Etô, mais personne ne se souvient de son nom ni ne l’utilise, même pas les garçons dont elle est éprise. Comme Ichi, le « petit prince », son « amour à sens unique », qui l’a séduite, totalement à son insu, en classe de quatrième, au point qu’elle en a fait le héros des mangas qu’elle dessine. Sa seule activité culturelle, au demeurant. Douze ans plus tard, lorsqu’ils se retrouvent à Tokyo, dans une soirée d’anciens élèves, puis se revoient quelquefois, elle se rend compte qu’il n’a conservé aucun souvenir d’elle, qu’il n’a même jamais su son prénom ! Leur love story n’aura été qu’un pur fantasme.
Etô a 26 ans. Elle est vierge et immature, mal dans sa peau de provinciale « montée » à Tokyo, où elle mène une existence médiocre. Elle est comptable dans un bureau, boulot qu’elle déteste au point de simuler un temps d’être enceinte afin d’obtenir un long congé. Une attitude particulièrement scandaleuse au Japon, pays où le travail passe avant tout, y compris comme vecteur de socialisation. Son salaire lui permet juste de vivre, de louer un petit studio, de s’acheter le nécessaire. Elle n’a aucune espérance, aucun projet. Si ce n’est celui de se marier un jour, avec son prince charmant. Pas Ichi, donc. Il lui reste Ni, un collègue, un commercial un peu plus âgé qu’elle, et plus déterminé. Un type sincère, honnête, rassurant, et qui semble amoureux. Alors, qu’attend Etô ? Elle tergiverse, accepte de sortir avec Ni mais refuse d’aller plus loin, minaude, se fait désirer. Au risque que le garçon se lasse et aille voir ailleurs…
Etô finira-t-elle par sortir de son indécision pathologique, presque perverse, de sa solitude et de sa déprime ? On laisse à Wataya le plaisir de le révéler à son lecteur, séduit par cette comédie générationnelle assez au second degré. J.-C. P.