Auteur rare qui met de longues années à élaborer un livre, Aravind Adiga publie ici son quatrième roman depuis ses débuts avec Le tigre blanc, récompensé en 2008 par le prestigieux Booker Prize. En dépit de différences de lieux, d’époques, d’intrigues, son projet est toujours peu ou prou le même, aussi passionnant et ambitieux qu’inaccessible : rendre compte de l’Inde contemporaine, à travers un prisme révélateur.
Cette fois, Adiga a choisi le cricket, l’un des sports nationaux de l’Inde, et l’un des legs laissés par les Anglais en 1947, avec les Ambassador, les motos Enfield et l’article 377 du Code civil, qui pénalise toujours l’homosexualité et que les progressistes et les activistes gays, dans une société traditionaliste où les apparences demeurent essentielles, ne sont toujours pas parvenus à faire réabroger. Il n’est pas sûr que le contexte actuel, dans un pays "Modi-fié" par son Premier ministre ultra-conservateur hindouiste, y soit propice.
Le désir est l’un des moteurs majeurs de La sélection. Désir de Mohan Kumar, un infect marchand de chutney âpre au gain, de voir ses deux fils, Radha Krishna et Manjunath, réussir socialement grâce à leur don divin pour le cricket. Désir des deux gamins d’échapper à l’enfer que les adultes leur font vivre. Et désir pur du riche Javed Ansari, musulman gaucher et gay, pour Manju, dont il est tombé amoureux, et avec qui va s’instaurer une relation ambiguë.
Tout cela se passe à Bombay, capitale indienne de tous les extrêmes, où, contrairement à Bollywood, les rêves peuvent être brisés, déçus, balayés. Les frères Kumar l’apprendront à leurs dépens, au terme de ce livre complexe, lent, épars, qui ne tient pas toutes ses promesses. Jean-Claude Perrier