Avant-critique Roman

Peter Handke, "Ma journée dans l'autre pays. Une histoire de démons" (Gallimard)

Peter Handke - Photo © Francesca Mantovani Gallimlard

Peter Handke, "Ma journée dans l'autre pays. Une histoire de démons" (Gallimard)

Dans un roman au phrasé lyrique, Peter Handke raconte le voyage salvateur d'un homme autrefois possédé par les démons.

Parution 7 novembre

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Par Sean Rose
Créé le 18.11.2024 à 09h00

Retour en grâce. « Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou, par un autre tour de folie, de n'être pas fou. » Cet éloge de la déraison par Blaise Pascal peut sonner discordant chez un homme apparemment si plein d'intelligence, qui fut à la fois philosophe et mathématicien. Mais la vérité ne s'exprime pas toujours en actions raisonnables ni en formules mathématiques. En apologiste du christianisme, l'auteur des Pensées avait en tête « la folie de la croix », qui affirme, selon le dogme chrétien, que Dieu fait homme est venu sur terre pour sauver le monde en sacrifiant sa propre vie... C'est possédée par Apollon que la pythie de Delphes rend ses oracles et le fou du roi dit le vrai sous couvert de boutades délirantes. La marche du monde est tellement sens dessus dessous que renverser sa tête pour regarder les choses permet de les voir droit. La démence équivaut parfois à un moment de lucidité.

Le narrateur de Ma journée dans l'autre pays de Peter Handke, a connu pareille « période de folie » et une espèce d'épiphanie négative : « Rien dans la Création ne trouvait justice à mes yeux. » Ayant perdu assez tôt leurs parents, lui et sa sœur habitent ensemble. Reprenant l'exploitation parentale de pommes, il est fructiculteur, jusqu'au jour où il est pris de crises de somnambulisme - en vérité une possession démoniaque. Il part vivre loin du domaine familial et plante sa tente dans un cimetière au-delà des habitations. Les démons s'exprimaient par sa bouche. D'après les dires de sa sœur ou d'autres (car il ne se souvient plus de rien), quand on le croisait au village, il vitupérait, fulminait tout son dégoût des gens : « Ce qui sortait de moi : insultes et harangues toujours, et toujours neuves, autres, et toujours inouïes, et plus "inouïes" encore. » Ces invectives ne s'adressaient à personne en particulier, si ce n'eût été à lui-même : « incorrigible ! » , « pauvre bougre ! », « suppôt de l'enfer ! », « sous-homme ! », « microbe ! », « fruit vermoulu ! » Ainsi se poursuivait sa logorrhée avec l'errance. Le fructiculteur « lunatique » aborde alors la rive de « l'autre pays ». Il y rencontre un homme seul qui le regarde sans jugement et le voilà guéri. Ses croisades verbales se sont transformées en melliflus chants à l'idiome inconnu.

Le nouveau roman de Handke est bref mais aussi dense qu'un mystère. Lequel mystère se dissipe, au fil des pages et au rythme des mots, à la lumière d'une conclusion apaisée. Le narrateur se réconcilie avec lui-même et le monde. Pour l'écrivain autrichien, la littérature est mouvement, elle est itinérance. Ma journée dans l'autre pays est une relation de voyage, plus intérieur que réel, ou plutôt au plus près du réel parce que très intérieur. Un voyage par-delà le voyage et la nuit, quand la solitude du singulier devient unité avec le tout.

Peter Handke
Ma journée dans l'autre pays. Une histoire de démons
Gallimard
Traduit de l’allemand (Autriche) par Julien Lapeyre de Cabanes
Tirage: 4 500 ex.
Prix: 12 € ; 80 p.
ISBN: 9782072970382

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