Paris, samedi à 17h. À l’intérieur du Lieu-Dit, bar incontournable du haut Ménilmontant, sis au 6, rue Sorbier, dans le XXe arrondissement, les visiteurs se pressent à l’intérieur d’une salle exiguë, où il devient impossible de se frayer un chemin. Ils s’assoient à même le sol ou se tiennent dans l’embrasure. Au premier rang, une femme âgée s’installe sur une chaise portative prêtée par un inconnu.
Près du mur, un bébé gazouille à côté de son père. Tous sont venus assister au débat Antisémitisme et la guerre coloniale en Palestine avec l'ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique, fondateur des journaux en ligne Orien XXI et Afrique XXI Alain Gresh et le militant Simon Assoun, animé par la journaliste Sarra Grira. Dans les rues adjacentes, comme chaque année pendant le salon, des manifestants antifascistes battent le pavé sous la pluie, cette fois à l'unisson des collectifs Urgence Palestine et Urgence Kanaky.
Leurs slogans font écho à la discussion en cours. Nous sommes le 1ᵉʳ juin, et la 16ᵉ édition du Petit salon du livre politique vient de donner son coup d’envoi.
Union de la gauche en 2022, violence judiciaire en 2023 et désormais, en 2024, la situation en Palestine et en Nouvelle-Calédonie… Pour Hossein, organisateur du Salon et fondateur du Lieu-Dit, il s’agit de trouver chaque année la thématique qui parlera le plus aux gens, « en faisant intervenir des personnes compétentes ». Discret, il préfère nous rediriger vers les éditeurs, une quinzaine « comme tous les ans ».
Quand l’actualité fait parler d’elle
Et quand on est spécialisé dans les sciences sociales et les fictions politiques, difficile d’éviter l’actualité brûlante. Éditeur à la Fabrique, Jean Morisot note un regain d’intérêt pour la géopolitique chez les libraires et les lecteurs. « Les gens ont besoin d’autres discours pour aller plus loin dans leur réflexion. » explique-t-il. Paru le 10 mai 2024, Le nettoyage ethnique de la Palestine, de l’historien israélien Ilan Pappé (trad. Paul Chemla), vient d’être réédité. Et les ouvrages de plusieurs auteurs de la maison, comme Joseph A. Massad et Amira Hass, sont en cours de réimpression. « Malgré leur ancienneté, ces livres constituent de précieuses archives. »
L’éditrice Gaïa Mugler-Solana observe le même phénomène aux Liens qui Libèrent. Palestine. Un peuple qui ne veut pas mourir, d’Alain Gresh, l’intervenant du jour, est lui aussi en cours de réimpression, et avait déjà fait l’objet d’une soirée de lancement au Lieu-Dit. « Il y a une forme de périodicité dans les sujets privilégiés » estime Gaïa Mugler-Solana. « En ce moment, on est aussi préoccupés par les élections européennes. » Des sujets abordés dans Le Monde ne sera plus comme avant, un ouvrage sur la géopolitique dirigé par Bertrand Badie et Dominique Vidal et publié en 2022. Même son de cloche chez Libertalia, qui refait paraître en version augmentée Un chant d’amour. Israël-Palestine, une histoire française, bande dessinée d’Alain Gresh et Hélène Aldeguer.
« À une époque où tout le monde est invité à se positionner, ce sont des outils importants » considère Marie-Pierre Lajot, chez Anamosa. Et alors qu'approchent les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, le sport aussi déchaîne les passions. Plusieurs maisons remettent en avant des livres dédiés, à l’instar Du sexisme dans le sport de Béatrice Barbusse, qui a remporté le prix Sport & Littérature en 2017.
Un week-end de retrouvailles pour les éditeurs indépendants
Projections, discussions et lancements de revue, le Lieu-Dit se fait régulièrement l’accueil de maisons indépendantes. Plusieurs d’entre elles disent leur enthousiasme de se réunir en ces lieux, dont elles sont toutes des habituées.
À commencer par les éditions Agone, fraîchement débarquées de Marseille. Iris Delhoum, qui devrait bientôt prendre les rênes de la maison, y voit l’opportunité de créer de la cohésion entre indépendants, de fédérer les forces qui peuvent l'être dans un milieu soumis lui aussi à la compétition et à la concurrence afin de les mettre en lumière. Structurée comme un enchevêtrement de constellations, « nous venons justement de créer un support visuel qui cartographie le monde de l’édition indépendante. » Derrière la table voisine, Lucie Berson, venue représenter Le Passager Clandestin, approuve : « Il y a si peu de salons de sciences humaines engagés. »
Après une inauguration animée, le Salon s'est poursuivi le dimanche avec la politologue Françoise Vergès, intervenue sur le thème de la « décolonisation de la Kanaky ».