Pascal Wald Lasowski a signé Scènes de plaisir, la gravure libertine, deux très beaux volumes – l’un de textes, le second d’images – aux Editions Cercle d’art. Il s’agit là d’un très bel hommage aux volumes libertins du XVIIème siècle, si richement et crument illustrés.
Car la littérature érotique fascine toujours autant : tous les fantasmes peuvent s’y épanouir librement, être sublimés, grâce, depuis plusieurs siècles, au talent de garnements des lettres et des beaux-arts ; sans compter l’ingéniosité sans limites des éditeurs « sous le manteau ».
C’est donc une sélection forcément subjective, mais toujours subversive et coquine, que le lecteur – un peu voyeur aussi ! – est convié à parcourir. Il croise ici un dessin licencieux, là, une couverture grivoise, une peu plus loin encore une série de planches très libres…
Critères bien spécifiques
Parmi ces objets de « curiosité », certains sont bien connus des spécialistes, d’autres présentent des gravures rarissimes, voire des feuillets et des scènes presque inédités. Le but recherché n’est ni l’exhaustivité, ni l’ennui que subiraient profanes et initiés à une énième bibliographie exhaustive. Il s’agit d’un parcours distrayant, à l’érudition joyeuse et pétillante, sous les jupons du « second rayon ».
Les livres érotiques répondent toutefois à des critères bien spécifiques. La sexualité sert évidemment de thème principal. Et lorsque la forme romanesque est employée, l’intrigue se doit d’aller crescendo : L’héroïne découvre son corps, puis celui des autres, avant de s’ébattre avec toujours plus d’audace et de partenaires. L’iconographie va de pair, privilégiant le dessin à la photographie, jugée trop réaliste pour mettre en images ce qui relève du fantasme et par conséquent, souvent, de l’impossible... Les pyramides de corps illustrant les volumes de Sade incarnent le sommet du genre, défiant les lois de l’apesanteur.
Un grand livre érotique réussi doit pouvoir entraîner celui qui le compulse dans un univers qui ne lui est pas familier, même en rêve. Tout l’art du grand écrivain et de son comparse au pinceau consiste à ce que chacun puisse s’identifier aux aventures d’une jeune donzelle, d’un marquis sur le déclin ou d’une maquerelle chinoise.
Iconographie et pornographie
L’iconographie n’est donc pas absente des Enfers et joue un rôle dans le sort des livres. Elle accompagne et colore soudain d’un rose très carmin nombre d’ouvrages, qu’ils soient de fiction ou scientifiques. Il en est ainsi de ces couples de femmes imaginés par l’artiste Achille Deveria ou des planches du De figuris Veneris de Forberg. Chez Sade, ce sont ces prouesses acrobatiques de personnages juchés les uns sur les autres, qui défient les athlètes du cirque de Pékin.
Une brassée de dessins rendent parfois pornographique un volume dont le texte est relativement pudique. Les planches d’illustrations circulent parallèlement aux romans de Genet ou de Cocteau et rendent explicite le sens des ouvrages même aux plus illettrés des censeurs, tel ces Vingt lithographies pour un livre que j’ai lu dessinées par Roland Caillaux sitôt dévoré Notre-Dame-des-Fleurs.
J’admire toujours cet Enfer du bagne, de Tullio Murri, présenté comme le témoignage d’un bagnard ayant écopé de dix-sept ans. Traduit français en 1926, le texte est présenté comme une dénonciation du bagne, ce qu’il est d’ailleurs. Mais il est préfacé par Renée Dunan, romancière qui connut elle-aussi la censure pour avoir outragé les bonnes mœurs ; ce qui constitue un premier indice troublant.
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L’illustration de couverture, digne des meilleures scènes fétichistes, en représente un deuxième. La confirmation des soupçons apparaît au fil de la lecture de L’Enfer du bagne, révélant un roman homo-érotique d’une incroyable audace et d’une impressionnante duplicité (ou plutôt d’une admirable habileté). Au motif de décrire les sévices et la promiscuité, aucun chapitre n’échappe à une scène de mise à nu (de bagnard) ou de corps à corps, frôlant l’imaginaire sado-masochiste et mêlant matons et prisonniers. Les pages de présentation de Renée Dunan prennent alors tout leur sens : « De même qu’un livre d’amour fait collaborer la syntaxe et les conjonctions à l’expression des sentiments amoureux, un livre sur le bagne doit, dans chacune de ses lignes, faire comprendre le caractère reclus et limité de tout ce qu’il décrit et analyse. Sentiments et passions, désirs, espoirs, affections, ambitions, volontés et ténacités persistent au bagne comme partout. Mais ces mobiles d’actes y ont un caractère spécial, secret et en quelque sorte environné de hauts murs ». Le censeur n’y a rien vu d’autre qu’un Albert Londres à l’italienne… Mon ami Emile Brami, écrivain et libraire d’anciens (notamment grand célinien !) à l’enseigne « D’Un livre à l’autre », ne s’y est pas trompé en attirant mon attention de curieux et de client.
Rendons justice (pour une fois, quel bonheur pour un avocat !) aux bibliothécaires. Si la censure policière ou judiciaire n’y a vu que du feu (qui est tout compte fait le vrai héros de notre propos), les conservateurs de l’Enfer, de temps à autre plus perspicaces en matière de flammes que les « pros » de l’autodafé, ne s’y sont pas toujours trompés. Ils ont mis la main sur des livres puissamment érotiques, malgré leur apparence historique ou scientifique. Et ont su voir, au-delà des planches anatomiques une version pudique, mais enjolivée de la sexualité.
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Par
Élodie Carreira
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