Dans la partie moyen-orientale de l'empire ottoman, en Irak et à Bakou (dans l'actuel Azerbaïdjan) brûle ce qu'on appelle les « feux éternels ». Ces foyers ardents sont utilisés dans le culte rendu à Zarathoustra. Mais ce n'est pas pour une affaire de religion qu'en 1892 le grand vizir a mené l'enquête auprès des fonctionnaires de la province de Mossoul. La famille qui récolte depuis des générations ce combustible s'écoulant du sol, le naphte (ancien nom du pétrole brut, arabisé en naft), s'acquitte-t-elle bien des taxes ? Les Neftçizade se sont-ils enrichis au détriment du sultan ? C'est que les Occidents sont prêts à payer cher pour accéder aux sources de l'huile minérale. On connaît la suite : le XXe siècle n'a cessé de vouloir s'en approvisionner. Du golfe Persique au Maghreb, les pays arabes et du Moyen-Orient ont été et demeurent étroitement liés à l'économie de cette énergie fossile, au point que certains d'entre eux, telles les pétromonarchies de la péninsule Arabique (l'Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar) ne sont dans l'imaginaire collectif rien d'autre que des pompes à essence planétaires.
Dans Aux pays de l'or noir, Philippe Pétriat retrace une histoire du pétrole de la fin du XIXe siècle à nos jours, mais à partir des sources arabes : l'historiographie arabophone, les documents officiels, les journaux. On appréciera dans ce « Folio essai » les reproductions de cartes et de dessins de presse qui incarnent et éclairent le propos de l'auteur. Le regard des peuples avec ses caricatures et ses sarcasmes sur la dépendance des productions pétrolières nationales vis-à-vis des puissances européenne et américaine est d'une lucidité qui contraste avec la courte vue induite par l'âpreté au gain de nombre de leurs dirigeants. British Petroleum, Royal Dutch Shell, Esso, Total... le colonisateur ne revêt pas tant l'uniforme du soldat que la tenue de l'ingénieur. Quoique, en realpolitik (c'est-à-dire quand les intérêts économiques s'en mêlent), on n'hésite pas à bombarder pour protéger lesdits intérêts...
De la fin des Ottomans aux nationalismes des années 1950-1960 puis au choc pétrolier en 1973 et au contre-choc en 1985, l'histoire arabe du pétrole n'est pas tant une contre-histoire qu'une facette méconnue de l'histoire contemporaine. « Pilier du processus de décolonisation, l'or noir arabe est aussi à l'origine des réflexions et des manifestes pour "le nouvel ordre économique" prôné dans les années 1970, avant de devenir des politiques économiques néolibérales expérimentées à partir des années 1980. » L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a voulu peser politiquement aussi. L'un des aspects passionnants de cet ouvrage est la question sociale (l'émergence de syndicats). Alors, rois du pétrole, les Arabes ? Les rois, pas leurs sujets. Sans même parler de redistribution, l'impéritie et la corruption de certains gouvernants laissent perplexe. D'autres préparent néanmoins l'après-pétrole... car la question du pétrole reste brûlante, et pas que pour les producteurs.
Aux pays de l'or noir. Une histoire arabe du pétrole, XXe-XXIe siècle
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 9,20 € ; 464 p.
ISBN: 9782072827396