On associe le nom de Pascal à cet essai posthume, fragmentaire, et non moins dense, intitulé Pensées, à un calcul de probabilités qu'il a établi appelé en son honneur « triangle de Pascal »... L'auteur des Provinciales, c'est encore l'apologue du christianisme et champion d'une vision de la foi qui l'opposait aux athées, « les libertins », mais également au sein même du catholicisme aux jésuites. Ces derniers, bras armé idéologique de l'Église en pleine reconquête, étaient selon lui prêts à tout pour gagner le cœur des incrédules, quitte à tordre le bras aux dogmes et le cou à la vérité. Lui est du parti des jansénistes, pour qui la grâce, cette liberté de conscience donnée à chacun, ne saurait être suffisante pour se sauver - hors l'aide de Dieu, point de salut. Et Dieu aux desseins impénétrables n'en sauve que quelques-uns... Face à la « démagogie » jésuite, Blaise Pascal demeure droit dans ses bottes. Mais si la religion ne doit pas édulcorer sa doctrine pour complaire aux tièdes, elle n'a pas à se mêler de science. Ni la philosophie ni les mathématiques ne sauraient non plus prouver l'existence ou la non-existence de Dieu. Rien de plus contraire que ces deux philosophes et mathématiciens du Grand Siècle que sont Descartes et Pascal, pointe Pierre Manent dans son nouvel essai Pascal et la proposition chrétienne. Pour l'auteur des Pensées, Dieu n'est pas synonyme de raison naturelle et sa vérité ne se peut atteindre par quelque méthode ratiocinante. Croire ou ne pas croire relève du domaine du cœur : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point. »
Blaise Pascal entend tenir les deux bouts de l'omelette : à la fois vivre sans concession sa foi dans le Dieu fait homme et faire preuve de mesure dans un monde auquel on appartient mais dont on sait que son ordre n'est que construction humaine dénuée de tout fondement métaphysique. Cela paraît certes conservateur, puisqu'on obéit à l'ordre social établi mais c'est aussi radical parce qu'on reconnaît, avec son cœur de chrétien que Jésus oriente vers la charité, la vanité de cet ordre des choses étayé par le pouvoir. L'establishment est une espèce de structure sans valeur intrinsèque. Ce Pascal politique a pu intéresser le Bourdieu des Méditations pascaliennes ou a été plus récemment cité par Frédéric Lordon dans La condition anarchique (Seuil, 2018).
Mais ce n'est pas tant cet aspect qui intéresse ici Pierre Manent, pourtant spécialiste de philosophie politique et historien de la pensée libérale en France. Il analyse l'originalité et la profondeur du philosophe du XVIIe siècle, véritable penseur de la déchirure au cœur de notre humanité - notre limite en regard de l'infini, cette angoisse existentielle devant « le silence éternel de ces espaces infinis ». Et Manent de se faire apologue de l'apologue, et, partant, de la voie chrétienne. Comment échapper, ou plutôt surpasser sa misère ? En se défaisant de l'illusion du moi et prenant la pleine mesure de notre néant. Tel est le paradoxe chrétien : mettre l'humilité au centre, à l'imitation du Christ- Verbe fait chair, Dieu fait homme, l'inconnaissable rendu visible par le visage de l'amour et de la pauvreté.
Pascal et la proposition chrétienne
Grasset
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 24 € ; 484 p.
ISBN: 9782246832362