Le Conseil constitutionnel vient à nouveau de frapper au cœur de la fameuse loi du 29 juillet 1881. Le 7 juin dernier, il a censuré l'interdiction de rapporter la preuve de la vérité d'un fait diffamatoire « lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision. Rappelons que, en cas d'action en diffamation, les moyens de défense sont assez ténus. L'article 35 de la loi de 1881 dispose notamment que « la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf : a) lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne ; b) lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années ; c) lorsque l'imputation se réfère à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision ». C'est ce dernier alinéa à propos duquel le Conseil constitutionnel a été saisi le 20 mars 2013 par la Cour de cassation, sous forme d'une question prioritaire de constitutionnalité. Selon le requérant, l'impossibilité, pour la personne prévenue de diffamation, de rapporter la preuve de la vérité d'un fait diffamatoire constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision, porte atteinte à la liberté d'expression et aux droits de la défense. Et, aux dires des sages de la rue Montpensier, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif d'intérêt général poursuivi. Ils ajoutent qu'il appartient au législateur de fixer les règles concernant la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables, la procédure pénale et l'amnistie ; (...) « en vertu de la compétence que lui confère ce texte, il lui appartient en particulier, d'une part, de fixer le délai d'extinction de l'action publique et, d'autre part, en matière d'amnistie, d'enlever pour l'avenir tout caractère délictueux à certains faits pénalement répréhensibles, en interdisant toute poursuite à leur égard ou en effaçant les condamnations qui les ont frappés ». Il lui est donc « loisible, à cette fin, d'apprécier quelles sont ces infractions et le cas échéant les personnes auxquelles doit s'appliquer le bénéfice de ces dispositions » et « il peut, en outre, définir le champ d'application de l'amnistie, en référence avec des événements déterminés en fixant les dates et lieux de ces événements ». C'est ainsi que « l'amnistie et la prescription visent au rétablissement de la paix politique et sociale ». De même, les articles 133-12 à 133-17 du Code pénal « fixent les conditions de la réhabilitation de plein droit et de la réhabilitation judiciaire» et «la réhabilitation vise au reclassement du condamné ». « En troisième lieu, (...) les articles 622 et suivants du Code de procédure pénale fixent les conditions dans lesquelles une condamnation pénale définitive pour un crime ou un délit peut donner lieu à révision (...) la révision vise au respect des principes du procès équitable et à la poursuite de l'objectif de bonne administration de la justice par la remise en cause, à certaines conditions, d'une condamnation revêtue de l'autorité de la chose jugée ». C'est ainsi que « les dispositions concernant l'amnistie, la prescription de l'action publique, la réhabilitation et la révision n'ont pas, par elles-mêmes, pour objet d'interdire qu'il soit fait référence à des faits qui ont motivé une condamnation amnistiée, prescrite ou qui a été suivie d'une réhabilitation ou d'une révision ou à des faits constituant une infraction amnistiée ou prescrite ». Le Conseil éradique donc « l 'interdiction prescrite par la disposition en cause » car elle « vise sans distinction, dès lors qu'ils se réfèrent à un fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision, tous les propos ou écrits résultant de travaux historiques ou scientifiques ainsi que les imputations se référant à des événements dont le rappel ou le commentaire s'inscrivent dans un débat public d'intérêt général ». Il précise que « cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les imputations diffamatoires non jugées définitivement au jour de la publication de la présente décision ». Cela signifie donc, en pratique, la fin de nombre de poursuites à l'encontre d'éditeurs. Alors que, jusqu'ici, à l'exception du cas de Pierre Vidal-Naquet, plusieurs auteurs majeurs avaient été condamnés pour avoir évoqué le passé de tortionnaire d‘un homme politique français au motif qu'il avait été amnistié pour ces faits commis pendant une guerre coloniale. Soulignons enfin que l'article article 35 b) de la loi de 1881, interdisant de rapporter la preuve d'un fait diffamatoire de plus de dix ans, avait déjà été fustigé par un arrêt du Conseil constitutionnel en date du 20 mai 2011.