24 avril > Histoire France > Pierre Serna

La prise en considération du droit des bêtes sous la Révolution a contribué à installer le racisme. C’est, pour faire court, le paradoxe mis en évidence dans le travail passionnant de Pierre Serna. Comment cela s’est-il passé ? Depuis 1789, les hommes naissent libres et égaux en droits. Mais les animaux ? Pourquoi n’auraient-ils pas eux aussi des libertés et des droits ? Dans cette période révolutionnaire, l’histoire des hommes se mêle à celle des bêtes de manière intense au cours de débats toujours très actuels. De nombreux textes paraissent sur la maltraitance animale. Pierre Serna en a publié dans L’animal en République (Anacharsis, 2016). On parle de citoyenneté animale et, par un glissement analogique, on se demande si le citoyen ne serait pas un peu animal. On finit ainsi par animaliser le peuple. "A son tour, comme les bêtes, le peuple est observé, rangé, classé, transcrit, décrit dans ses parties comme le ferait un zoologiste."

A l’appui de sa démonstration, ce professeur à l’université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne cite de nombreux documents. Ils montrent bien comment cette volonté de classer fait revenir comme un boomerang la distinction du sang noble, bleu et pur par rapport à celui impur qui abreuve nos sillons. C’est au nom de ce même progrès que Gobineau écrivit en 1853 son Essai sur l’inégalité des races humaines en considérant l’histoire comme une partie de l’histoire naturelle.

Dans cette histoire politique des rapports entre les hommes et les animaux, Pierre Serna ouvre des pistes nouvelles, fruit de dix ans de recherches sur le sujet. "La construction de l’animalisation du peuple durant le Directoire s’est poursuivie dans une autre direction et oblige à se poser la question du racialisme tel qu’il apparaît en 1802." Le citoyen aurait donc quelque chose de sauvage. On le disqualifie parce qu’il est dérangeant, bestial, populaire. Ne parle-t-on pas encore d’animal politique pour discréditer un adversaire dont la fougue semble aussi peu contrôlée que ses idées.

Au nom d’un savoir qui se veut descriptif, en voulant faire le lien entre la classification des espèces et celle des caractères moraux, des savants ont préparé une régression de la pensée en supposant la suprématie blanche. "Les naturalistes, les hommes de science, les observateurs du monde vivant au XVIIIe siècle, dans leur façon de scruter les sociétés animales, dans leur volonté de les classer en fonction de leur utilité ou de leur nocivité, ont directement contribué à alimenter la réflexion politique sur la fonction de chaque être dans une société organisée et sa fonction dans une hiérarchie nouvelle."

A un moment où l’on redécouvre le bien-être animal, il n’est pas inutile de se replonger dans ces controverses sur la genèse du droit animal qui conduisirent quelques-uns à animaliser le peuple pour finir par le classer comme des bêtes. Il y a quelques années, Gérard Manset chantait Animal, on est mal. La lecture de cet essai percutant ne fait qu’affirmer la véracité du propos. Laurent Lemire

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