« Le Graal de l'auteur français aujourd'hui est d'être traduit en anglais », affirme Constance Trapenard, éditrice au Masque et chez JC Lattès. Mais lorsqu'il est question de polar, l'affaire se complique, tant les marchés anglophones sont difficiles à pénétrer. Tel était le sujet d'une table-ronde qui s'est tenue vendredi 4 avril, lors de Polar Connection, volet professionnel du festival Quais du Polar 2025.
Un manque de légitimité sur les terres du polar
Malgré des efforts considérables de la part des éditeurs et des agents littéraires, le marché anglophone du polar, caractérisé par une faible proportion de traductions, demeure un bastion presque imprenable pour les écrivains francophones. Selon Nicolas Roche, à la tête du Bief (Bureau International de l'Édition Française), seulement 6 % des polars publiés au Royaume-Uni et 3 % aux États-Unis sont des œuvres traduites. « Ceci alors que le français est la deuxième langue la plus traduite au monde après l’anglais, avec 12 500 contrats de traduction par an, dont environ 400 titres traduits chaque année aux États-Unis », ajoute-t-il.
Le polar francophone peine à s’imposer dans les pays qui ont inventé le genre et les barrières sont nombreuses. Pour Constance Trapenard, l’abondance de la production de polars en langue anglaise réduit la nécessité pour ces marchés de s’intéresser aux auteurs étrangers. « Ils ont moins besoin de nous que l'on a besoin d'eux », affirme-t-elle. David Headley, organisateur du Capital Crime Festival à Londres et agent littéraire, insiste lui sur le fait que les coûts de traduction constituent l’un des principaux obstacles au Royaume-Uni et que les auteurs français participent peu aux festivals littéraires anglo-saxons.
Faire bouger les lignes
Pourtant, il existe une réelle volonté de faire bouger les lignes et les éditeurs français redoublent d'efforts pour promouvoir leurs auteurs sur ces marchés. « Les éditeurs français voyagent énormément, nous avons 600 accrédités à Francfort, et font tout pour pénétrer ce marché car l'édition en langue anglaise permet d'avoir le monde entier comme terrain de jeu », résume Nicolas Roche.
De son côté, Constance Trapenard explique que chaque texte français qu'elle espère vendre en anglais est soumis à des éditeurs soigneusement sélectionnés. Les prix littéraires jouent également un rôle clé dans cette stratégie : ils facilitent les négociations avec les éditeurs étrangers. L’exemple de Pierre Lemaitre illustre bien cet impact : son prix Goncourt en 2013 a considérablement accéléré ses traductions et sa reconnaissance internationale. Cependant, les prix polars français ne suffisent pas encore à créer une dynamique comparable à celle du Nordic Noir ou de la littérature japonaise et coréenne, qui connaissent un succès retentissant en anglais.
Jean-Christophe Grangé, le Mireille Mathieu du Japon
Pour Susanna Lea, agente littéraire basée à Londres, New York et Paris, il ne s’agit pas d’un problème de protectionnisme mais plutôt d’un problème d’accès aux textes et d'économie du livre trop serrée. « Les éditeurs anglophones sont ouverts aux bonnes histoires, peu importe leur origine », affirme-t-elle, citant l'exemple de Millenium qui a ouvert la voie mondiale du polar nordique.
« De temps en temps, un auteur arrive à éclore sur un marché de manière considérable et inexplicable, comme c'est le cas de Jean-Christophe Grangé, une sorte de Mireille Mathieu du Japon. Aujourd'hui je rêve d'avoir des Jean-Christophe Grangé partout ! », lance Nicolas Roche.
De l'avis général, malgré les obstacles, les éléments semblent réunis pour qu’un auteur de polar français perce sur le marché anglophone : de bons auteurs, de bons éditeurs, de bons agents et un soutien institutionnel solide. Ce qui manque encore ? Le « petit truc » qui permettrait à un auteur francophone d’exploser sur la scène internationale.
« Nous avons besoin de bons auteurs français qui donnent à nos publics ce qu'ils veulent lire : du polar bien français ! Il suffit d'un gros best-seller, pour ouvrir la voie, et tout le reste décollera ! », conclut, optimiste, David Headley.