Plus ça va et plus ils sont jeunes, Georges et Claude Pompidou. Il serait inexact de croire que la nostalgie toujours plus forte que suscitent les années Pompidou (si courtes, finalement, si on les considère circonscrites au mandat présidentiel, 1969-1974) est due uniquement au triomphe des trente glorieuses, du dernier moment de plein-emploi, d’une France ignorante du choc pétrolier à venir et débarrassée des ombres du gaullisme d’après-guerre pour n’en garder que la part lumineuse. Non, il y a dans le regret que ces temps suscitent quelque chose qui tient sans doute aussi à l’équation personnelle de celui qui les incarna. Un président de la République qui citait Valéry en conférence de presse comme d’autres le font des notes de synthèse et qui, arrivant en 1962 dans les murs de l’hôtel Matignon, eut pour exigence d’y exposer une grande toile monochrome noire de Pierre Soulages. Retenons cela : 1962, Matignon, Soulages. C’est dire combien, sans se préoccuper jamais d’en avoir l’air, Georges Pompidou, enfant auvergnat de la communale, portait l’audace chevillée au corps et à la pensée.
De cet homme, qui pouvait écrire : "si l’art contemporain me touche, c’est à cause de cette recherche crispée et fascinante du nouveau et de l’inconnu", puisant sa curiosité vive de l’extrême contemporain dans la fréquentation jamais démentie du patrimoine de l’humanité, Alain Pompidou, son fils, et le journaliste César Armand ont souhaité éclairer la trajectoire dans Pour l’amour de l’art. Le sous-titre de leur livre, Une autre histoire des Pompidou, dit aussi son ambition et combien cette aventure ne fut pas solitaire mais celle d’un couple. Des soirs d’avant-guerre, où les amoureux aimaient à se réciter du Baudelaire ou du Rimbaud, jusqu’à l’inauguration, quelques années après la disparition de Georges, de ce Centre Beaubourg qui porte son nom. Entre-temps, il y aura eu l’échappée belle vers Boulez, Ernst, De Staël, Vasarely, les nouveaux réalistes. Georges voit La Chinoise de Godard et pressent le mois de mai à venir. Leur appartement de l’île Saint-Louis prend peu à peu l’allure d’un musée privé. A l’Elysée, il fait venir Pierre Paulin et l’art cinétique.
La publication de la correspondance de Pompidou, déjà aux bons soins de son fils (Lettres, notes et portraits : 1928-1974, Robert Laffont, 2012), avait permis de redécouvrir, jusque dans la cruauté, la vivacité de sa pensée. Ce Pour l’amour de l’art, portrait d’un Médicis réinventé en paysan auvergnat, achève le portrait tout en creusant un peu plus le mystère d’un homme indéchiffrable. Olivier Mony