A Roubaix, ville sinistrée, la librairie Livres est bien plus qu’une librairie. Une institution, fondée il y a longtemps par le couple Lepage, et tenue par eux jusqu’à leur mort. Georges a disparu en 1962 dans un attentat attribué à l’OAS, en réaction aux accords d’Evian mettant fin à la guerre d’Algérie. Il faut dire que le libraire était un "porteur de valises" du MNA, un "hussard républicain" très engagé contre l’illettrisme, pour l’accueil des étrangers et le multiculturalisme, comme on ne disait pas encore à l’époque. Sa femme Julie a tenu bravement la barre jusqu’à son décès, en 1968. Leur fille Yvonne, ancienne photographe, leur a ensuite succédé. Mais les temps ont bien changé, et la petite boutique-couloir, lieu de vie, de rencontres, d’échanges, de partage, a subi la crise de plein fouet. Le dépôt de bilan menaçait, minant la pauvre libraire. Au point que, justement, elle vient de mourir d’un AVC, en faisant sa comptabilité ! Livres va-t-elle disparaître ? Non, car Yvonne a choisi pour héritier Abdel, 35 ans, devenu agrégé de lettres après avoir quasiment appris à lire chez les Lepage. Un "hussard de la République", lui aussi, père français, mère algérienne.
Grâce à la vente de sa maison, il reprend le fonds, le donne en gérance à Zita, la vendeuse, revenue dégoûtée d’un passage chez Repères, un entrepôt de "biens culturels" qui tue les librairies. Mais Abdel doit aussi faire le tri dans les affaires d’Yvonne, aidé de Rosa, l’assistante sociale corse fille d’un avocat, dont il est tombé amoureux. C’est ainsi que le trio, de fil en aiguille, tombe sur des choses troublantes, sur certaines photos étranges prises par Yvonne, sur des archives concernant toutes la guerre d’Algérie, l’OAS, les luttes entre le FLN et le MNA. Quel rôle exact a joué Georges Lepage ? Qui l’a tué ? Quels étaient les rapports entre Yvonne et le père de Rosa, Me Alfieri, défenseur d’un tueur de l’OAS ?
Toutes ces énigmes vont se résoudre, au cours du récit. Et des liens se tisser entre des êtres d’histoires, de milieux, d’origines, de confessions, d’opinions radicalement différents. Saïd, par exemple, le vieux Kabyle un peu simple, ancien combattant en Algérie pour qui les harkis sont juste des traîtres. Voulant inventer un lieu de fraternité, Michel Quint ne pouvait choisir qu’une librairie, et, nordiste lui-même, dans le Nord. Son roman, outre ses qualités littéraires, est un chant d’amour au livre, à la littérature, à la lecture, à la librairie, particulièrement bienvenu en ces temps barbares dont la culture, seule, pourra venir à bout. J.-C. P.