Le 23 juillet 1960, en provenance de Buenos Aires, Adolfo Bioy Casares atterrit à l'aéroport de Rio de Janeiro. L'homme a 45 ans, porte beau, mais pourtant écrit déjà des phrases comme "on se rend compte que l'on est vieux quand on voit apparaître des taches sur ses mains et que l'on devient invisible pour les femmes". C'est d'ailleurs une femme invisible qui est la cause secrète de son séjour au Brésil. Elle s'appelle Ophelia, est carioca, il l'a rencontrée sur un paquebot transatlantique il y a dix ans, un jour où, très jeune fille, elle s'évanouit d'amour pour lui... Il la revit à Paris, pour quelques chastes baisers dans des jardins, et puis plus rien. Bioy espère que ce séjour en terre brésilienne lui permettra de la retrouver. La raison officielle de son voyage étant, quant à elle, le congrès du Pen Club international.
Durant cette semaine, qui le mènera de Rio à São Paulo en passant par Brasilia, alors en construction, l'auteur de L'invention de Morel est promené de réceptions en communications savantes et souvent bouffonnes. Il paraît un peu dépassé par les événements, ne trouvant de complicité qu'auprès de Moravia, se faisant snober par Graham Greene, n'appelant autrement Elsa Morante que "Mme Moravia" (à la fureur de la principale intéressée), rivalisant d'amabilités avec Roger Caillois qu'il déteste cordialement, se réfugiant dans les rencontres de hasard (comme celle, très savoureuse, avec un coureur cycliste chilien et érotomane) et la rêverie d'une Ophelia chaque jour plus fantasmée.
Ecrivain de l'étrangeté du réel, Bioy Casares a scrupuleusement tenu le journal de son séjour brésilien qui aurait été navrant si la littérature ne lui donnait ainsi les contours d'une épopée. C'est celui-ci qui paraît enfin en France sous le titre Quelques jours au Brésil. Dû à l'intercession de son ami Michel Lafon, auteur de la postface, ce volume est loin d'être "une note de bas de page de l'oeuvre". C'est un texte sec, sans apprêt, dont l'ironie et la discrète mélancolie nous rendent tout le génie du plus béarnais des grands latinos.