On peut avoir travaillé vingt ans dans le cinéma d'animation et produire un premier album de manière parfaitement artisanale, au meilleur sens du terme. Geoff en fait la démonstration avec Lily a des nénés, une œuvre audacieuse sur le fond comme dans la forme, et parfaitement aboutie. L'auteur, né à Lisieux, en Normandie, en 1970, a travaillé en couleurs directes, au pastel gras, pour composer avec une infinie délicatesse le portrait d'une fillette de 10 ans confrontée aux prémices de sa féminité.

Dans le petit village de Portsall (Finistère), 200 habitants sur la côte bretonne, Lily s'ennuie un peu, mais pas tant que ça. Elle se promène dans les champs, erre sur la grève et le port, dans les odeurs de poisson. « Ici, les papas vont à la pêche... et les mamans à la poissonnerie. » Ils sont aussi souvent absents, par exemple pour le salon de la pêche, à Paris.

La fillette, elle, est amoureuse d'un copain de son frère jumeau, Titouan. Joshua vit avec ses parents au dernier étage du même petit immeuble. Il a un profil de chef de bande, tout le monde l'aime et, surtout, tout le monde veut être son ami. Il en profite un peu. Mais pour Lily, il est parfait : beau, cool, drôle. Le problème, c'est qu'il ne lui prête guère attention. Pour se faire remarquer, elle va devoir utiliser un stratagème, quitte à gentiment manipuler son frère.

Accompagnant Lily dans l'échafaudage de ses stratagèmes, campant avec justesse la petite théorie de jeunes qu'elle côtoie, Geoff se montre un fin observateur de la préadolescence, dont il restitue toutes les couleurs, tantôt froides, tantôt chaudes, entre les bleus et les roses, avec celles de ses pastels. On le découvre avec elle : Lily a des nénés. Et ces petits nénés qui pointent subrepticement signifient si peu et tant à la fois, pour elle comme pour tous ceux, adultes et enfants, qui l'entourent.