« Huysmans n'a fait que raconter sa vie, dans tout ce qu'il a écrit et publié », écrit le professeur André Guyaux, grand spécialiste de l'écrivain, dans son avant-propos aux Rêveries d'un croyant grincheux, un ensemble de textes inédits en volume qu'il publie dans la collection « Carnets » à L'Herne, en même temps qu'un autre recueil, sur les cathédrales, autour de Notre-Dame de Paris. Cyprien Tibaille, André Jaillant, Folantin, l'illustre Des Esseintes, figure d'A rebours (1884), Jacques Marles ou Frédéric Durtal, héros de son dernier cycle romanesque après sa conversion, ne sont que « les prête-noms » des états de l'âme tourmentée, bouillonnante voire fulminante de Charles Marie Georges Huÿsmans (1848-1907) qui, par fidélité à ses origines néerlandaises (il détestait tout ce qui avait trait au Sud, en particulier Marseille), transformera ses prénoms en Joris-Karl. Rien d'étonnant, donc, à ce que ce primitif flamand soit salué par quelques écrivains actuels, comme Sartre, Pierre Jourde (qui a codirigé le volume chronologique de ses Romans et nouvelles en Pléiade) ou Michel Houellebecq, son plus grand fan, à qui il a insufflé son pessimisme, ses névroses, son ironie et son dégoût de l'époque. Quant à son « humour noir », il est l'inventeur de la formule, qu'André Breton, qui admirait A rebours, lui a empruntée pour titrer sa fameuse Anthologie.
A rebours, incontestablement son chef-d'œuvre, fourre-tout de son époque, imagier où Huysmans, qui a fait ses débuts en littérature comme critique d'art, salue ses peintres préférés (Odilon Redon, Gustave Moreau), ses écrivains favoris (Barbey d'Aurevilly, Mallarmé), c'est un peu l'arbre qui cache la forêt, et a valu à son auteur cette étiquette un peu facile de « fin de siècle » qui lui colle à la peau. Décadent peut-être, Des Esseintes, mais quel panache, et quel style dans son art de ne pas vivre. D'où l'intérêt d'une édition illustrée du roman, où le texte est mis en regard de toute une iconographie qu'il sous-tend. Jusqu'au Satyricon de Felini, le roman du Romain Pétrone étant un des livres de chevet de Huysmans.
Mais ça, c'était « avant ». Lorsqu'il était l'auteur sulfureux de Là-bas (1891), roman satanique. C'était avant sa marche vers la conversion, telle qu'il l'a racontée dans En route, paru en 1895. Ensuite, l'œuvre de Huysmans va s'infléchir vers la spiritualité, le religieux, jusqu'à virer à la bigoterie, l'écrivain passant les dernières années de sa vie à visiter toutes les cathédrales, les abbayes, à enchaîner les retraites. S'installant, même, un temps près de Ligugé, et se faisant oblat, presque moine, en 1901. De cela aussi, il a tiré un livre, L'oblat, paru en 1903.
Huysmans avait le zèle des convertis, il stigmatisait la liturgie de son temps, l'électrification de Notre-Dame (« une profanation », « cette cathédrale n'a plus d'âme »), son « rafistolage » par Viollet-le-Duc, et ces « indécents touristes » qui venaient troubler le sacré du lieu. Déjà. André Guyaux fait remarquer que c'est un court-circuit qui a provoqué le désastreux incendie du 15 avril 2019. Qu'en aurait écrit Huysmans, ce gothique flamboyant ?
L'exposition Huysmans critique d'art est présentée au Musée d'Orsay, du 26 novembre 2019 au 1er mars 2020. Catalogue (Gallimard / Musée d'Orsay) en librairie le 5 décembre.
Romans et nouvelles - Edition publiée sous la direction d'André Guyaux et de Pierre Jourde, avec la collaboration de Jean-Pierre Bertrand, Per Buvik, Jacques Dubois et al.
Gallimard
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 73 € (prix de lancement jusqu’au 31.3.2020, 66 €) ; 1 856 p.
ISBN: 9782072699825
A rebours - Préface et choix iconographique de Stéphane Guégan et André Guyaux
Gallimard/Musée d’Orsay
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 35 euros ; 256 p.
ISBN: 978-2-07-286559-6