C'est à dix ans, dans le chalet familial du Vercors, que le jeune Daniel Pennachionni a pris conscience qu'il était écrivain. En inventant des récits de ses rêves et de ses cauchemars, qu'il racontait ensuite à Louis, son meilleur copain, baba d'admiration. Il y en avait un, récurrent, où il voyait sa mère, modiste en vogue, qui avait travaillé pour Fellini à Cinecittà, parler avec le grand Federico, son cinéaste préféré. « J'aurais pu connaître Fellini ! » se dira le gamin, plus tard. De même, dans un autre songe, il plonge dans un lac et explore un village englouti, où il reconnaît tout, la maison de ses grands-parents, la cheminée en marbre, et un Saint-Sébastien auréolé au-dessus du lit de la grand-mère.
Tout cela, il l'écrit bien longtemps après, devenu Daniel Pennac, écrivain à succès, notamment d'une série pour la jeunesse, les Kamo (en « folio junior »), dans la cabane du Vercors où il travaille l'été, patriarche entouré de toute sa tribu, fille, jumelles, petits-enfants insolents... On croirait Victor Hugo pratiquant L'art d'être grand-père. Sauf que tout cela n'est qu'illusion, fiction, poudre aux yeux littéraire. Roman, en un mot. C'est Pennac lui-même qui le dit, le révèle et décrypte pour son lecteur tous ses tours de magie.
Sa mère n'a jamais connu ni travaillé pour Fellini. Femme de militaire nomade, elle s'occupait de ses fils. Louis n'a jamais existé, c'est un personnage des Kamo. Daniel n'a jamais pratiqué la plongée sous-marine. La maison de la grand-mère n'a jamais eu de cheminée en marbre. Quant à la ferme du Vercors, elle n'a jamais été « familiale », mais acquise par l'écrivain en 1995, et la cabane construite quinze ans plus tard. La seule chose qui soit exacte, c'est sa passion pour le théâtre, un spectacle créé au Piccolo Teatro de Milan, moyen de renouer avec ses racines italiennes, et façon d'ajouter une corde à son arc.
Tout cela, mystification et démythification, il l'a imaginé il n'y a pas si longtemps, sur son lit d'hôpital suite à un accident avec l'ampoule d'un projecteur, après un coma. Ce retour à la vie accompli, c'est l'amie Françoise de Nice, qui lui raconte où il a trouvé son histoire de village englouti, les Salles-sur-Verdon, et le Saint-Sébastien, dans un film. Et Pennac de se souvenir que, jeune prof dans le Nord de la France, dans les années 1970 et dans des classes « aménagées » de garçons fâchés avec l'écriture, il avait demandé à ses élèves de tenir des « carnets de rêves ». « Vous êtes vache, M'sieur », lui disaient-ils au début. Il n'empêche qu'il les a réconciliés avec le texte, le plaisir de la lecture, la littérature, ainsi qu'il l'a raconté dans son superbe Chagrin d'école (Gallimard, prix Renaudot 2007). C'est un peu le professeur Pennac qui reprend ici la plume, et donne à ses élèves/lecteurs charmés, une leçon, cette fois, d'écriture, à la fois gourmande et émouvante.
La loi du rêveur
Gallimard
Tirage: 70 000 EX.
Prix: 17 euros ; 176 p.
ISBN: 9782072879388