Marcel Proust est à l'évidence un immense écrivain, l'un de nos plus grands. Mais il a aussi de la chance que trois de ses anniversaires majeurs se soient enchaînés : en 2019, le centenaire de son prix Goncourt pour À l'ombre des jeunes filles en fleurs ; en 2021, le cent-cinquantenaire de sa naissance, et, cette année, le centenaire de sa mort, à Paris, chez lui, le 18 novembre 1922.
Cela a permis à des projets « lourds » de se monter, comme des expositions. Celle du Musée Carnavalet, « Marcel Proust, un roman parisien », du 16 décembre 2021 au 10 avril 2022, a attiré près de 100 000 visiteurs. À la BnF (site François-Mitterrand), du 11 octobre 2022 au 22 janvier 2023, « La fabrique de l'œuvre » (catalogue BnF / Gallimard, 6 octobre) est centrée sur l'histoire de l'écriture de La recherche à travers 350 pièces ordonnées selon un itinéraire alphabétique. Les commissaires en sont Antoine Compagnon, auteur d'un remarquable Proust du côté juif (Gallimard, mars 2022), Guillaume Fau, conservateur-en-chef à la BnF, et Nathalie Mauriac Dyer, directrice de recherche à l'ITEM-CNRS-ENS, mais aussi - surtout - arrière-petite-nièce de Proust. C'est elle qui dirige le Bulletin d'informations proustiennes, dont le n° 52 (Rue d'Ulm, octobre), au sommaire riche et varié, présente notamment deux pages retrouvées du Cahier 8 et des dessins inédits de Proust à son ami intime le compositeur Reynaldo Hahn. La musique de ce même Reynaldo Hahn ressuscite sous les mains audacieuses du jeune pianiste russe Pavel Kolesnikov, en exil à Londres, qui dédie « à Marcel Proust » des concerts inspirés de La recherche (le 21 octobre à Paris, salle Cortot). Proust est sans doute le seul de nos écrivains à se voir consacrer deux revues, le BIP, donc, et le Bulletin Marcel Proust, publié par Garnier (n° 71, -spécial centenaire également).
Quant aux publications sur Proust, la base Electre n'en recense pas moins de 324 depuis 2019. Côté œuvre, parmi les à-paraître, le volumineux recueil Lettres (Plon, 13 octobre), anthologie de la monumentale Correspondance de Proust en 21 volumes éditée par Philippe Kolb chez Plon dans les années 70-80, laquelle mériterait, selon Antoine Compagnon, une nouvelle édition complète et critique. La réédition est augmentée de quelques lettres inédites. Proust étant un épistolier compulsif, c'est sûrement de ce côté-là qu'il faut chercher des inédits. « Par exemple, précise Nathalie Mauriac, la correspondance intime avec son ami cher Bertrand de Fénelon, qui se trouve toujours dans la famille du destinataire. » Il y a encore forcément d'autres trésors de notre patrimoine littéraire et trésors tout courts. Un autographe, une dédicace, une lettre ou un dessin de Proust se vendent fort cher, témoins du véritable culte qui l'entoure et confine parfois au fétichisme. À noter qu'une édition bibliophilique des 5 000 lettres de Proust publiées par Kolb, telle quelle, est prévue en novembre en quatre volumes sur papier bible, chez Plon toujours, dans sa nouvelle collection « La Prestigieuse ».
Côté inédits, l'exceptionnelle collection proustienne de Pedro Corrêa do Lago, éditeur et ancien président de la Bibliothèque nationale du Brésil, lettres, manuscrits, photos, documents, nous parvient enfin, sous la forme d'un album aussi passionnant que copieux, Proust, une vie de lettres et d'images (Gallimard, 20 octobre). Cette collection, la plus grande collection privée de lettres et manuscrits autographes du monde, a été montrée en 2018 à la Morgan Library de New York. On rêve qu'elle vienne un jour à Paris.
Facettes inexplorées
Les nombreux essais et études à paraître explorent des facettes moins connues de la vie, de la personnalité et de l'œuvre de Marcel Proust, un peu dans la lignée du magistral L'œil de Proust, où Philippe Sollers décryptait les dessins de l'écrivain (Stock, 1999). On suit avec plaisir et curiosité l'écrivain-proustologue Thierry Laget dans son exploration du musée proustien jusqu'à Venise et en Orient (D'étoiles en étoiles, Proust et les arts, Hazan, octobre). La journaliste et biographe Jocelyne Sauvard s'intéresse à l'univers féminin de Proust (Proust et les femmes, Écriture, 15 septembre) : toutes les figures qui l'ont entouré (avec au premier rang sa mère Jeanne, née Weil), et tous les personnages féminins de La recherche, 120 sur quelque 200 personnages. Proust l'homosexuel « honteux », pionnier de la parité littéraire, c'est cocasse.
Côté témoins, les célèbres mémoires de Céleste Albaret (Monsieur Proust, Robert Laffont, 1973), irremplaçable document de première main, se voient adaptés en roman graphique par Corinne Maier (texte) et Stéphane Manel (dessins). Un travail respectueux du texte d'origine et inspiré, notamment les portraits (Seghers, 1er septembre).
Enfin, une équipe d'universitaires menée par l'éditrice Blanche Cerquiglini a réalisé pour « Folio classique », une anthologie, Proust-monde, sur la réception de l'œuvre proustienne par les écrivains étrangers (Gallimard, 8 septembre). Organisée thématiquement, on y fait de belles découvertes, tel un pastiche par le Cubain Alejo Carpentier, mais aussi, plus surprenant, des textes d'« anti-Proust », comme Borges, Aldous Huxley, ou encore Witold Gombrowicz. « [Proust] m'a toujours agacé, écrit ce dernier. Je n'ai jamais pu me joindre aux louanges dithyrambiques qu'on lui a adressées. Ce monstre... d'une délicatesse excessive à force de rester toujours au lit à étouffer, moite et visqueux, épuisé et emmitouflé, nageant dans les potions, voué à toutes les saletés du corps, muré dans sa chambre tapissée de liège. » Un peu d'iconoclasme au milieu de l'iconolâtrie, un bémol dissonant dans le concert de louanges, un peu de poil à gratter dans l'encens, de piment parmi les sucreries, ça ne fait pas de mal. Proust, qui pratiquait lui-même un humour volontiers vachard, le pastiche ou la caricature, aurait adoré. Il est, de toute façon, au-delà.