La mort est dérangeante. Littéralement. Quelqu’un décède, et c’est l’heure et les lieux qui s’en retrouvent bouleversés. Il faut déplacer, trier, se débarrasser aussi. Le narrateur d’Olivier Schefer, dans Une tache d’encre, deuxième texte de fiction du philosophe d’esthétique, est avec son frère chez leur mère défunte : ils vident l’appartement. Grande littéraire, elle avait travaillé dans sa jeunesse comme journaliste dans un magazine féminin mais également à la librairie La Hune. Livres, calepins, boîtes à chaussures où s’entassent toutes sortes d’objets : flacon de parfum, taille-crayon, carte RATP… Quoi garder ?, se demandent les frères. "Que faire de ces petites choses, qu’on ne peut se résoudre à jeter, car elles sont les résidus essentiels d’une vie, et dont on ignore dans quel carton de déménagement il convient de les ranger, ni même s’il existe un carton pour cela ?" La mort dérange, elle soulève les couvercles de pots qu’on croyait scellés. Elle réveille les peurs anciennes de n’avoir pas été le préféré, attise les jalousies tues, masquées par une fraternité complice (le frère, de dix ans le cadet du narrateur, réapparaît soudain comme le rival dans l’impossible partage de l’amour maternel).
Le vide creusé par le deuil crée un appel d’air qui vous tire non pas spécialement vers le fantôme de qui vient de trépasser mais vers cet autre spectre qui est son propre passé. Refluent les souvenirs, ce voyage à Venise avec une certaine Lou, l’Italie de ses premières années, la séparation de ses parents…
L’homme féru d’art et de littérature allemande - Olivier Schefer est un spécialiste de Novalis et a collaboré à La forme poétique du monde : anthologie du romantisme allemand chez José Corti (2003) - est aujourd’hui père de deux enfants. Il se tourne vers cet "arrière-pays" de l’enfance : "cet espace intérieur qui était tout autre chose qu’un simple "moi" à raconter, plutôt un lieu vide hanté - une chambre, un couloir, un train -, dont je ne pouvais plus me détourner maintenant qu’elle était morte." Le narrateur découvre parmi les affaires un encrier chinois offert pour ses 11 ans par son père. Le garçon renversa l’encre sur le tapis ainsi que le livre qui accompagnait le cadeau souvenir de Chine, engendrant le courroux paternel. Sans doute aussi les germes inconscients d’un besoin d’écriture comme une tache indélébile. S. J. R.