Dans un jugement prononcé le 6 août 2015, le tribunal de commerce a mis fin à l'aventure en décidant la liquidation immédiate d'une affaire dans laquelle plusieurs milliers d'épargnants ont été embarqués. Fin 2014, la brigade financière avait perquisitionné les locaux d'Aristophil, situés 21 rue de l'Université, et le 5 mars dernier la juge Charlotte Bilger avait mis en examen Gérard L'Héritier et sa fille pour escroquerie en bande organisée.
Pour tenter de prolonger l'activité, le tribunal de commerce avait autorisé en juin la vente pour 25 millions d'euros du prestigieux siège de l'entreprise, un immeuble au 21 de la rue de l'Université (Paris 7e), affichant aussi une adresse 2 rue Gaston Gallimard, juste en face du siège de la maison d'édition du même nom. Regroupés en plusieurs associations pour tenter de défendre leurs intérêts, les épargnants qui ont investi au total plusieurs centaines de millions d'euros espéraient cette solution dans l'espoir de récupérer leur mise, mais la procédure judiciaire la rendait très aléatoire.
La qualité des dizaines de milliers de documents achetés par Aristophil n'est pas en cause : c'est la pyramide financière mise en place qui a attiré l'attention de la justice. Aristophil achetait des lettres, manuscrits, livres rares, qu'elle revendait à des investisseurs alléchés par une perspective de rendement de 40 % en cinq ans, et un actif défiscalisé. En réalité, les nouveaux épargnants finançaient les plus values des précédents dans un flux inflationniste de rachats à l'issue incertaine.
Au delà de la valeur de ces pièces sur un marché relativement confidentiel, c'est aussi la valeur symbolique de ces éléments du patrimoine littéraire français qui a séduit des investisseurs parfois modestes, confortés par la stratégie de recherche de respectabilité organisée par Aristophil. D'abord installée dans un bâtiment historique de la rue de Nesles, dans le 6e arrondissement, au coeur de Saint-Germain-des-Prés, la société avait ouvert un Musée des lettres et manuscrits 222 boulevard Saint-Germain, puis avait aussi installé une antenne à Bruxelles, passage Saint-Hubert, une des belles adresses de la capitale belge. Elle avait ensuite acquis l'immeuble de la rue de l'Université.
Son inauguration en 2013 avait été un des événements mondains du quartier. Aristophil avait créé dans la foulée un "grand prix de l'Institut des lettres et manuscrits" remis en 2014 à Valéry Giscard d'Estaing, ancien président de la République. Mécène des arts et des lettres, elle avait aussi fait un don de 2 millions d'euros à la BNF pour l'achat de La vie de Sainte-Catherine d'Alexandrie, manuscrit enluminé classé "trésor national". Elle coéditait avec Gallimard et Flammarion des beaux livres autour des expositions organisées dans son musée, et que Gérard L'Héritier signait en tant que co-auteur. Elle avait également recruté comme directeur culturel Jean-Pierre Guéno, créateur de la collection "Lettres de", dont la compilation Lettres de poilus est devenue un classique prescrit dans les écoles.
La plaque d'Aristophil est toujours visible 21 rue de l'Université, mais le musée est fermé, de même que le site internet et le compte Facebook, mais pas le blog, dont le contenu apparaît aujourd'hui singulièrement décalé. Reste le sort des dizaines de milliers de documents, dont le fameux rouleau de Sade, propriétés des épargnants. Il est toutefois douteux qu'ils puissent un jour les revendre au prix où ces pièces leur ont été proposées.