Berlin - où elle vit - et Paris - où elle a vécu - sont les deux lieux du nouveau titre de l’Islandaise cosmopolite Steinunn Sigurdardottir, auteure à succès d’une dizaine de romans dont Yo-yo est le cinquième traduit en français.
Le héros narrateur est un cancérologue berlinois de 34 ans, Martin Montag. Lorsque le lecteur fait sa connaissance, le médecin examine dans son cabinet un homme geignard qui lui laisse une étrange sensation de malaise, de plus en plus envahissante. Alors qu’en ce vendredi de début de printemps, sa femme, sa «chère Pétra», l’attend pour terminer la journée sous les marronniers en fleur, le praticien consciencieux voit remonter en lui un jour maudit de son enfance, celui où, plus de vingt-cinq ans auparavant, il a rencontré pour le pire ce patient aux mains velues et à la tache de naissance noire sur l’index. Car en cet «avant-dernier patient du jour» porteur d’une tumeur en forme de «yo-yo rouge vif», l’ex-enfant abusé reconnaît l’agresseur croisé en rentrant de l’école.
Comme dans une sorte de retour du refoulé, le roman déploie les heures qui suivent cette confrontation et le dilemme qui terrasse le médecin. Et la romancière agence habilement les pièces du passé, formant le portrait d’un homme aux cicatrices invisibles et pourtant handicapé, qui, sous l’apparence d’un radiothérapeute habile et concerné qui croit « dans les rayons X, esthétiquement dosés en finesse » et non «dans les remèdes de cheval des mixeurs de mixtures et des barbiers», sous les traits d’un amoureux attentionné, cache « un robot » qui ne peut plus toucher ou être touché, qui sait que les baisers de Pétra sont doux mais ne le sent pas, un « pédophobe » condamné à être « sur le chemin du retour de l’école à tout bout de champ ». Un cauchemar sans fin apaisé malgré tout par l’amitié du solaire et sarcastique Martin Martinetti, un ancien clochard français amoché lui aussi par la vie.
Enfance violée, cancers et maladies mentales, tentations suicidaires…, les thèmes sont particulièrement tragiques mais la romancière les allège de leur charge de pathos en exaltant, avec une curieuse fantaisie, la vitalité des amours et des amitiés guérisseuses, la force cicatrisante des fraternités de douleur. Véronique Rossignol