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Le temps de la modération est-il venu ? Après une rentrée d'hiver riche suivie d'un accueil en librairie mitigé, la pénurie de papier et l'instabilité liée à l'OPA lancée par Vivendi (Editis) sur Lagardère (Hachette) ont calmé les ardeurs des éditeurs, plus prudents que jamais à la rentrée littéraire. La production globale passe sous la barre des 500 titres, du jamais vu depuis 20 ans. Selon nos données Livres Hebdo/Electre Data Services, 490 romans composent la rentrée 2022 contre 521 en 2021, soit une baisse de 6 % : nous sommes loin des 646 dénombrés il y a dix ans !
Dans le détail, côté français, le nombre de fictions accuse une baisse de 9 % et s'établit à 345 titres dont 90 premiers romans, principalement défendus par des maisons de petite ou moyenne taille (lire page 20). En littérature étrangère en revanche, la production semble trouver un équilibre après des années d'efforts : 145 romans traduits paraîtront entre août et octobre contre 142 pendant la même période de l'an dernier.
« Nous avons estimé qu'envoyer un message de frugalité et de grande sélectivité [aux libraires, ndlr] donnerait plus de chances à chacun des titres retenus », justifie de son côté le P-DG. de Grasset, Olivier Nora. La maison de la rue des Saints-Pères retrouve son étiage de 2015, avec 13 fictions contre 16 d'ordinaire. Stock se limite à une dizaine de titres après avoir réduit sa rentrée de près d'un tiers en cinq ans tandis que Calmann-Lévy se maintient autour de cinq romans à paraître en août. Présidente de JC Lattès depuis 2019, Véronique Cardi poursuit sa cure d'austérité cette année : un seul titre à la « Grenade », la collection de Mahir Guven, contre deux en 2021, et aucun thriller sur le programme de rentrée. Chez Albin Michel, le programme compte en août un titre en moins, soit huit fictions. Chez Madrigall, Gallimard passe de 18 à 13 romans français à paraître en août et septembre quand Flammarion consolide sa production autour de dix fictions. Actes Sud propose, comme l'année dernière, une douzaine de romans français et étrangers. Ainsi le Seuil fait figure d'exception en repartant à la hausse avec 10 nouveautés contre 7 un an plus tôt.
Chez Editis aussi, les maisons ajustent leurs sorties. En août, Robert Laffont restreint sa rentrée à trois romans, tout comme les Presses de la Cité. Les programmes d'autres maisons littéraires du groupe sont à l'image des évolutions qu'elles traversent en interne. Directrice de Julliard depuis septembre, Stéphanie Chevrier ouvre un nouveau chapitre avec trois titres dont deux français au moment où Plon assume sa direction bicéphale : D'un côté, Céline Thoulouze et son équipe présentent six romans français, de l'autre Lise Boëll en défend trois.
Beaucoup de têtes d'affiche
Ces ajustements n'ont pas empêché de rendre à la rentrée littéraire son lot de grands noms. Virginie Despentes fait figure de favorite chez Grasset où elle signe son grand retour avec Cher connard. L'écrivaine prend position aux côtés de Yann Moix, Simon Liberati,Léonora Miano ou Claudie Hunzinger dont le dernier roman, Les grands cerfs, reçut le prix décembre 2019 des mains d'Amélie Nothomb, une autre auteure incontournable de la rentrée, toujours éditée chez Albin Michel. Cet éditeur met par ailleurs en avant le chouchou des libraires Franck Bouysse,alors que JC Lattès soutient Sandrine Collette, pour la première fois présente à la rentrée d'automne. Calmann-Lévy accompagne le retour à la fiction de Yann Queffélec. Actes Sud propose une dystopie signée Laurent Gaudé,le deuxième volet du diptyque entrepris en 2020 par Muriel Barbery et un texte très personnel de Valentine Goby. Le Seuil met notamment en avant Alain Mabanckou alors que sa petite sœur, les Éditions du Sous-Sol, récupère Bernard Chambaz. Chez Gallimard, Yannick Haenel côtoie Monica Sabolo, Carole Fives, Marie Nimier mais aussi Christophe Ono-dit-Biot, absent du rayon roman depuis cinq ans.
Grand prix du roman de l'Académie française 2018, Camille Pascal incarne la rentrée de Robert Laffont quand Bérengère Cournut revient au Tripode, Olivia Rosenthal chez Verticales et Yves Ravey chez Minuit. Auteure star estampillée Noir sur Blanc, Gaëlle Josse signe La nuit des pères. De son côté, Flammarion renouvelle son soutien à Olivier Adam, Brigitte Giraud, Grégoire Bouillier et Catherine Millet. Yasmina Khadra confie un nouveau texte à Mialet-Barrault pendant qu'Emmanuelle Bayamack-Tam et Jean Rolin restent fidèles à POL, Hubert Haddad à Zulma et Alexis Ragougneau à Viviane Hamy.
Jurys, libraires et journalistes se pencheront aussi sur ces écrivains qui jouissent déjà d'une reconnaissance du milieu littéraire. Ainsi Miguel Bonnefoy, prix des Libraires 2021, livre une exofiction chez Rivages quand la médiatique Blandine Rinkel publie son troisième roman chez Fayard et Hugo Boris son sixième chez Grasset. Quatre ans après Désintégration, Emmanuelle Richard retourne à la fiction avec Hommes. De son côté, Emmanuelle Favier propose un texte ambitieux de près de 500 pages chez Albin Michel et Pierre Ducrozet révèle une facette plus intime dans Variations de Paul (Actes Sud). Kaouther Adimi poursuit l'exploration de l'Algérie dans Au vent mauvais (Seuil). Prix des Deux Magots 2021, Emmanuel Ruben fait partie des incontournables de Stock pendant que Lucie Taïeb, prix Wepler-Fondation La Poste 2019, sortune nouvelle fiction à l'Ogre. Apprécié des éditeurs étrangers comme du public français, Joseph Incardona défend lui les couleurs de Finitude.
Deuxièmes romans très « hot »
Attendus eux aussi au tournant après avoir fait une entrée remarquée dans l'univers des récompenses littéraires, plusieurs auteurs proposent leur deuxième opus. C'est le cas de Dany Héricourt (La cuillère, Liana Levi, 2020), Fabrice Capizzano (La fille du chasse-neige, Au Diable Vauvert 2020), Hadrien Bels (l'Iconoclaste) ou Maud Simonnot, louée à la sortie de L'enfant céleste (L'Observatoire), finaliste du Goncourt des lycéens 2020. Après une incursion dans la littérature young adult, Gilles Marchand remet Aux Forges du Vulcain un deuxième roman dont les droits poche ont déjà été cédés au Livre de Poche. De son côté, Flammarion invite à se rapprocher de Victor Jestin, salué par la critique et les libraires pour La chaleur, prix Femina des lycéens 2019. « L'épicier de Roubaix », Djamel Cherigui, révélation 2021 pour La sainte touche, s'embarque pour la première fois dans la rentrée d'automne avec Le balato (JC Lattès). Le Seuil accueille avec fierté la nouveauté de David Lopez, prix du Livre Inter 2018 pour Fief. Annie Lulu, prix Senghor 2021 du premier roman, renouvelle sa confiance à Julliard alors que la Rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse, prix des Cinq continents de la Francophonie 2019, représente la rentrée française d'Autrement.
Chez Albin Michel, Victoria Mas, dont Le bal des folles (2019) est devenu un succès mondial après avoir été un best-seller en France, est programmée aux côtés du jeune chroniqueur de CNews, Nathan Devers et d'Emma Becker, auteure apportée de Flammarion par la nouvelle directrice, Anna Pavlowitch. Deux autres transfuges à haut potentiel arrivent chez Gallimard : Pauline Delabroy-Allard, découverte par Irène Lindon chez Minuit, et Pierre Adrian, autrefois aux Équateurs. Goncourt du premier roman 2021, Émilienne Malfatto quitte Elyzad pour les Éditions du Sous-Sol où elle est éditée par Adrien Bosc.
Parmi les écrivains qui ont migré d'une maison à une autre, on remarque l'arrivée chez Buchet-Chastel d'Antoine Choplin,qui avait, jusque-là, confié ses textes de fiction à La Fosse aux Ours. Auteure Verticales, Gaëlle Obiégly suit l'éditrice et attachée de presse Noémie Sauvage chez Bourgois. Après une incursion chez Philippe Rey, Emmanuelle Pirotte regagne sa maison d'édition historique, Le Cherche Midi. Autrefois chez Grasset, Félicité Herzog retourne chez Stock où elle est suivie par Manuel Carcassonne tandis qu'Arnaud Dudek s'installe aux Avrils après être passé par Alma et Anne Carrière. Pour Fanny Chiarello et Wendy Delorme, il s'agit seulement d'un pas de côté : les romancières signent un roman à quatre mains chez Cambourakis.
Des voix francophones
Comme tous les ans, la rentrée assume son rôle de dénicheur de talents. Ces challengers sont notamment défendus par de jeunes maisons d'édition à l'image de Traversée, chez HarperCollins France, où Marie Eugène mise sur Matthieu Seel, redoutable poète qui est sorti de l'addiction au crack, et Agnès de Clairville. Chez Charleston, Danaé Tourrand-Viciana s'est rapproché de la blogueuse mode aux dizaines de milliers d'abonnés @ulap, de son vrai nom Samar Seraqui de Buttafoco. À l'occasion de sa première rentrée chez Belfond, Magali Langlade lance le domaine français avec deux primo-romanciers, Nicolas Garma-Berman et Marion Roucheux. Toujours chez Editis, Jean Le Gall, directeur de Séguier, investit la rentrée française avec le premier roman du guitariste de Taxi Girl et producteur de Madonna, Mirwais. Chez Minuit désormais, Thomas Simonnet présente Claire Baglin. À Marseille, Le Bruit du Monde inaugure son domaine français avec la Comorienne Touhfat Mouhtare et Dalva, également spécialisée en littérature étrangère, introduit Corinne Morel-Darleux. Même timing chez Globe où le premier Français à intégrer le catalogue est Anthony Passeron.
Les éditeurs de poche se sont rapidement emballés pour plusieurs titres tels Les tourmentés de Lucas Belvaux à paraître chez Alma, désormais dirigée par Laure Defiolles au sein du collectif Anne Carrière. Son titre fait encore l'objet d'enchères. Mais aussi Le bord du monde est vertical de Simon Parcot, publié chez les Marseillais du Mot et le reste et cédé au Livre de Poche.
Un an après la découverte de Mohamed Mbougar Sarr, Goncourt 2021, Philipe Rey défend une nouvelle voix francophone, la belgo-rwandaise Dominique Celis. Seul primo-romancier de la rentrée Actes Sud, le Calédonien Basile Galais publie Les sables. Désormais chez Gallimard, l'éditeur Clément Ribes inaugure son label « Scribes » avec le Belge Alexandre Valassidis.
L'empire des sens
Il ou elle embrasse l'âge adulte, regrette l'insouciance de l'enfance, se déchire intérieurement face à un chagrin d'amour, s'affranchit du cadre familial ou professionnel, se reconnecte à cette nature qui souffre... Surtout, il ou elle se rêve ailleurs. Car les protagonistes de cette rentrée littéraire s'efforcent, comme l'an dernier, de raviver leur imaginaire en éveillant leurs sens, osant la fiction et s'écartant des récurrentes biographies romancées.
Le ton est d'abord donné par plusieurs romans générationnels. C'est au cours d'une fête que les corps transpirants des adolescents Flora et Zac s'effleurent pour la première fois dans L'effet Titanic de Lili Nyssen (Les Avrils). La chaleur humide de la boîte de nuit en bord de plage excite L'homme qui danse de -Victor Jestin (Flammarion). La jeune Agnès Mascarou se plonge dans un univers coloré et peuplé de drag-queens dans Laisse tomber la nuit (Hors d'atteinte). Le juvénile personnage de Que reviennent ceux qui sont loin de Pierre Adrian (Gallimard) étreint lui l'âge adulte au cours de ses soirées d'été bretonnes. Cette bascule vers la maturité est jonchée d'épisodes brutaux dans la vie du jeune garçon homosexuel de Moi qui ai sourile premier de Daniel Arsand (Actes Sud). Bestial aussi le rapport qu'entretient Romy, 20 ans, avec son corps dans Chienne et louve de Joffrine Donnadieu (Gallimard). À l'aube de la vingtaine, tous deux travaillent dans un fast-food et crèvent d'ennui. D'un côté, Pierre Guénard introduit Harry, un rêveur qui est persuadé de devenir un jour rock star dans Zéro gloire (Flammarion). De l'autre, la narratrice de Claire Baglin (En salle, Minuit) se souvient de son père ouvrier tout en répétant, durant ses longues journées de travail, les mêmes gestes. Pour tromper l'ennui, Bombonne, 16 ans, décide de suivre une mauvaise influence dans Le balato de Djamel Cherigui (JC Lattès). Grandir vous dites ? Pauline Desmurs, 21 ans, préfère retourner en enfance dans Ma théorie sur les pères et les cosmonautes (Denöel).
Chair de ma chair
Passé les premiers émois, le corps de nos héros et héroïnes se transforme. Elle devient mère et les relations polyamoureuses de L'inconduite d'Emma Becker (Albin Michel) sont bouleversées. Après la naissance de son deuxième enfant, la narratrice de Les chairs impatientes de Marion Roucheux (Belfond) ressent le besoin d'aller voir ailleurs. Patricia de Souza explore de son côté les sentiments les plus controversés d'une femme dans sa relation aux hommes (Loin du Pérou, Arcane 17). Une passion amoureuse fait ressurgir des interrogations existentielles et donne Le goût du vertige dans le dernier roman de Stéphane Chaumet (Éditions des Lacs). Entre rage et désespoir, Erika endure une rupture amoureuse et réveille par la même occasion le passé meurtri du Rwanda dans Ainsi pleurent nos hommes de Dominique Celis (Philippe Rey). L'homme à zéro sentiment et qui pleure à présent se trouve être le narrateur de Nicolas Fargues (POL). Une histoire de passion et sensualité à plus de 70 ans ? Dany Héricourt vous prouve que c'est possible dans Ada et Graff (Liana Levi). La différence d'âge n'a pas d'importance pour Simon Liberati et sa suggestive Performance (Grasset).
Corps et âme maltraités
Les femmes victimes de viols ou d'épisodes brutaux survenus durant l'enfance font l'objet de nombreux romans cette année encore. Un amour de jeunesse tourne à l'agression dans la première œuvre d'Agnès de Clairville, La poupée qui fait oui (Traversée, Harper Collins France). La reconstruction d'une femme victime d'inceste est explorée dans Une somme humaine de Makenzy Orcel. La petite menteuse de Pascale Robert-Diard (L'Iconoclaste) a été reconnue victime de viol alors qu'elle a menti sur les faits. Dans La nièce du taxidermiste de Khadija Delaval (Calmann-Lévy) le lecteur est ici témoin des agressions que subit Baya un été en Tunisie. A-t-elle été agressée ou pas ? Sur l'écran de sa télévision, Léna Moss reconnaît le visage d'un homme recherché pour viols en série avec qui elle vécut une liaison autrefois. Ses souvenirs s'entremêlent dans Hommes d'Emmanuelle Richard (L'Olivier). Une lignée de femmes victimes de violences apparaît dans la fresque aux accents écoféministes d'Annie Lulu (Peine des faunes, Julliard).
Nouveaux mondes
Quitte à se projeter, Emmanuelle Bayamack-Tam invente une communauté millénariste à la fois féministe, queer et animaliste. Ici, les êtres fragiles récitent Nerval et Rimbaud et célèbrent des messes poétiques : c'est La treizième heure (POL). Pour Emmanuelle Pirotte (Cherche Midi), Les reines règnent à Brittania où l'humanité a renoncé au progrès matériel et retiré au sexe masculin ses anciens privilèges. Alors qu'il se retrouve, lui, devant ce qu'il avait imaginé comme une société idéale, le narrateur de C'est plus beau là-bas de Violaine Bérot (Buchet-Chastel) est en proie à l'angoisse. Réfugié en France, le héros de Mahmud Nasimi (Chant de la mélancolie : Dunkerque 2021-Kaboul 2080, éditions du Palais), rêve d'un Afghanistan paisible, tandis que d'autres écrivains plongent dans un avenir plus sombre. Laurent Gaudé (Chien 51, Actes Sud) bâtit une cité hyperconnectée aux règles coercitives quand Mirwais décrit le totalitarisme exercé par les multinationales et Les tout-puissants milliardaires du numérique (Séguier). Dans la cité portuaire de Basile Galais (Actes Sud), Les sables mouvants reflètent l'intranquillité contemporaine.
Nature et littérature salvatrices
Si, au cours des années précédentes, le réchauffement climatique a pris une place prédominante dans les processus narratifs avec des romans sur la fonte des glaces ou sur l'extinction des espèces, en 2022 les écrivains reviennent sur le pouvoir rassérénant de la nature. Grâce au silence de la forêt en pleine montagne, La sauvagière de Corinne Morel- (Dalva) retrouve la paix. Préservées à l'intérieur de la maison de leur enfance, deux jeunes filles profitent de l'environnement naturel pour se reconstruire dans Les filles bleues de l'été de Mikella Nicol (Le nouvel Attila). Dans une vallée près du Mont-Blanc, le jeune citadin du roman de Valentine Goby (L'île haute, Actes Sud) découvre la neige et s'éblouit.
Par la lecture ou la découverte de la littérature, plusieurs personnages de cette rentrée finissent aussi par aller mieux. C'est en lisant Proust que Clara découvre sa vocation de comédienne dans le roman de Stéphane Carlier (Clara lit Proust, Gallimard). Pour le narrateur du Salon d'Oscar Lalo, c'est plutôt la découverte hasardeuse de La tentation de Saint-Antoine de Flaubert qui change sa vie. C'est en déménageant en ville que le jeune Mokhtar découvre les joies de la lecture et l'écriture dans Mokhtar et le figuier d'Abdelkader Djemaï (Le Pommier). Henri, un écrivain débutant, était déjà passionné de Proust lorsqu'il s'éprend, un été, de Luce Simonnet : la jeune femme porte le même patronyme qu'Albertine dans À la recherche du temps perdu (Une saison avec Luce de Henri Raczymow, Canoë). Côté exofiction, Rémi David restitue la relation amoureuse et passionnée entre Abdallah, analphabète de 18 ans, et Jean Genet dans Mourir avant que d'apparaître (Gallimard). Dans La part des cendres (Albin Michel), Emmanuelle Favier relate l'aventure intrépide de la future Comtesse de Ségur.
S'évader dans le temps et l'Histoire
L'évasion arrive de la main d'Aude Walker qui signe Les cavales de ses personnages en quête de réponses entre l'aride désert et les grands canyons de la Californie (Fayard). Dans le même État américain, le héros de Michaël Collado est kidnappé par un gourou obèse (Mexicayotl, Do). Pas moins loufoque, William traverse l'Espagne en pleine Guerre civile pour empocher son billet de loto dans El gordo de Xavier Mauméjean (Alma). Les vacances démarrent mal pour le couple mis en scène par Yves Ravey à Taormine (Minuit). Pour le personnage sénégalais d'Antoine Rault, le voyage s'arrête en Franche-Comté où il accepte une offre de chauffeur (Monsieur Sénégal, Plon). Au contraire, Oumar Faye retrouve les rites et coutumes du Sénégal après huit ans d'absence dans Ô pays, mon beau peuple d'Ousmane Sembène (Presses de la cité). Enfin, Malena, décide de s'installer à Gênes, loin de son Argentine natale et de la dictature, écrit Marie-Christine Tinel dans Malena c'est ton nom (Elyzad).
La rentrée littéraire 2022 en chiffres
Premiers romans : les grandes maisons en retrait
Le nombre de primo-romanciers atteint, dans cette cuvée 2022 un niveau record de 90 (+ 21 %). Au cours de la dernière décennie, il n'a été dépassé qu'une fois, en 2018 (94 premiers romans). Mais l'audace relève cette année plus des petites maisons d'édition que des grandes. Gallimard a resserré le nombre de ses premiers romans à quatre. Flammarion, Grasset et Robert Laffont n'en proposent qu'un seul et Albin Michel aucun. Seul Plon lance cinq titres à la rentrée, dont un dans sa collection -« tribune libre ».
90 titres chez 74 éditeurs
Dès lors, au total, 74 éditeurs, souvent de petite taille, défendent des primo-écrivains, contre 52 un an plus tôt. C'est le cas d'Hors d'Atteinte avec Des rêves d'or et d'acier, d'Émilie Tôn, et Laisse tomber la nuit, d'Agnès Mascarou, des éditions du Rocher (Jouer, trahir, crever, de Frédéric Massot, et Nous en resterons là, de Chloé Lambert) ou encore de Verdier (Jean-Luc et Jean-Claude, de Laurence Potte-Bonneville, et Une mère éphémère, d'Emma Marsantes) qui défendent deux primo-romanciers chacune.
2022 voit aussi l'irruption de deux nouvelles maisons qui proposeront chacune un primo-romancier. Le présentateur et journaliste Mouloud Achour dont la maison a été baptisée aux couleurs de son émission, Clique, défendra La guerre des bouffons, d'Idir Hocini, et la très jeune maison spécialisée en primo romancières, Livres Agités, présentera la première fiction de Mona Messine (Biche). Gallimard profite également de la rentrée pour lancer sa marque Scribes, dirigée par Clément Ribes, avec notamment un premier roman : Au moins nous aurons vu la nuit, d'Alexandre Valassidis.
Une large majorité d'autrices
À l'image des années précédentes, une majorité des premiers romans de la rentrée (65 %) sont signés par des femmes. De même, les professions dominantes restent stables avec une majorité d'enseignants (Luc Vezin,La vie sans histoire de James Castle, Arléa), de journalistes (Samar Seraqui De Buttafoco,Vivre sans bruit, Charleston) et de professionnels de l'édition (Guillaume Perilhou, Ils vont tuer vos fils, L'Observatoire). Parmi les profils, quelques originalités se sont tout de même glissées. Anne Carrière publie le texte de P.E Cayral, un vendeur de chapeaux parcourant l'Europe (Au départ, nous étions quatre) et Bourgois défend le roman de Guillaume Lebrun, un éleveur d'insectes basé dans le sud de la France (Fantaisies guérillères). On retrouve aussi Matthieu Seel, alias « Charles » dans le podcast d'Arte Radio Crackopolis (Rien ne dure vraiment longtemps, Harper Collins).
Cette année, la transmission est au cœur des récits. Questionnements autour de la virilité (Un fils, Angelo Arancio, Tohu-Bohu), grande plongée dans les origines (Ajar-Paris, Fanta Dramé, Plon), mémoire d'un père disparu (Petite, je disais que je voulais me marier avec toi, Mehtap Teke, Vivianne Hamy) ou souvenirs mystérieux de ce dernier (L'insoupçonnable héritage de monsieur Meyer, Ariel Sibony, Ramsay), chaque texte a pour point d'ancrage le décès d'un proche, comme un électrochoc qui parcourt les primo-romanciers de cette rentrée. P. G.
Trois meilleurs titres
Faite de cyprine de punaises, Lauren Delphe, Ixe
Les filles bleues de l'été, Mikella Nicol, Le nouvel Attila
Laisse tomber la nuit, Agnès Mascarou, Hors d'atteinte
Trois meilleures premières phrases
« Je suis née sur la départementale 91, quelque part entre Auchan et Ikéa. » Nicolas Garma-Berman, La fille aux plumes de poussière, Belfond
« Une enfant seule s'en va sur l'allée aux ronces. » Clara Benador, Les petites amoureuses, Gallimard
« J'ai choisi mon studio parisien en rêveur inconscient et y vis désormais comme un détenu qui se cogne aux murs. » Franck Saffioti, 21 Lutetia, Réalgar
Publications entre amis
Comme tous les ans, de nombreux professionnels de l'édition passent de l'autre côté du miroir et proposent leur propre ouvrage à la rentrée, chez un confrère ou une consœur ou dans leur maison. L'éditrice indépendante Caroline Laurent revient aux Escales avec Ce que nous désirons le plus, une autofiction où elle donne son ressenti sur l'affaire Duhamel (sans jamais la nommer). Dans l'exofiction cette fois, la cofondatrice de la maison de poésie Bruno Doucey, Murielle Szac, signe Eleftheria chez Emmanuelle Collas. Fondateur d'Alma, Jean-Maurice de Montremy s'interroge sur la déstabilisation des hommes face à l'autonomie croissante des femmes dans Les hivers et les printemps (Nuvis). Ex-éditeur chez Phébus, Daniel Arsand, aborde la fin de l'innocence dans Moi qui ai souri le premier (Actes Sud), tandis que Joachim Schnerf, éditeur de littérature étrangère chez Grasset, livre avec délicatesse une vision de la paternité (Le cabaret des mémoires, Grasset). À l'Observatoire, nous retrouvons la nouvelle directrice de la NRF, Maud Simonnot, et l'attaché de presse des éditions Seghers, Guillaume Perilhou. Après avoir reçu le Renaudot essai en 2018, la journaliste et critique littéraire Olivia de Lamberterie se demande Comment font les gens ? (Stock), quand la rédactrice en chef du magazine de libraires Aimer lire, Sarah Jollien-Fardel, s'essaie à la fiction chez Sabine Wespieser. Enfin, Kinga Wyrzykowska, agente chez Trames, apporte une belle dose d'humour dans son premier roman, Patte blanche (Seuil).