Entre mer du Nord et Atlantique, les Orcades sont l'archipel écossais situé le plus au nord des îles Britanniques. Paysage de falaises battues par les vagues et ciel ouvert sillonné par une multitude d'oiseaux, ces terres sauvages sont réputées pour leur nature sublime. Sublime pour qui n'y est pas né ; pour la jeune Amy, native de l'archipel, qui vit à la ferme avec son frère et ses parents, c'est l'ennui total, rien ne s'y passe, hormis les fréquentes crises de folie de son père maniaco-dépressif qui l'obligeaient à être interné, laissant sa mère seule à gérer l'exploitation. La curieuse voulait d'un autre quotidien que cet austère mode de vie rural, la casse-cou rêvait d'autres aventures que celles qui consistaient à grimper aux rochers et à courir au bord du précipice. Elle rêvait de grande ville, d'effervescence, de vertiges. En matière de gouffre, elle fut servie. Amy Liptrot part enfin pour Londres et se retrouvera au fond du trou.
L'écart, son premier roman, est le récit de ses tribulations dans la capitale, sa découverte des bars, des boîtes, des fêtes, les prémices d'une carrière de journaliste, sa descente concomitante dans l'alcoolisme... jusqu'à son salut qui passera par un retour aux Orcades où elle se réinvente en traquant le chant nocturne du roi caille, en plongeant dans les eaux glacées de Papay (la plus septentrionale des îles des Orcades où elle élit demeure), en contemplant le firmament boréal et ses merry dancers, la « vive lumière qui épouse les mouvements magnétiques de la Terre ».
Les virées à vélo au cœur de la nuit pour aller chercher de quoi boire, la spirale de la déchéance où l'on perd emploi, logis, amis, amour - son petit ami américain, au départ prêt à la soutenir, mais à la fin épuisé par les larmoyantes crises d'ébriété, prend la tangente -, une agression terrible... Ce livre est d'une poignante sincérité. Il ne se réduit pourtant pas à des « Mémoires d'une jeune fille dérangée » qui se concluraient par une happy end écolo. Nulle apologie aux accents néoluddites, pas de manifeste pro racines et anti-technologique. Amy Liptrot demeure hyper connectée, ne serait-ce que pour rester en contact avec autrui et les oiseaux qu'elle recense. L'écart est riche d'une réflexion. Aimer la nature ne signifie pas rejeter notre ère digitalisée, rien ne s'oppose à la vie. C'est que la technologie, au lieu d'être utilisée à seule fin d'une mortifère croissance consumériste, peut aussi aider à préserver la nature : la sienne propre, sa singularité d'individu ; celle dont nous sommes tous issus et dont nous avons la charge - la beauté du monde.
L’écart - Traduit de l’anglais par Karine Reignier-Guerre
Globe
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22 euros; 336 p.
ISBN: 9782211235402