En Angleterre, le cycle de romans Mapp & Lucia, paru en 1931, constamment réédité depuis, adapté deux fois en série par la BBC (qu’attend Arte pour en faire l’emplette et les diffuser ici ?), fait partie de l’ADN national. Les Britons n’aiment rien tant que les auteurs qui se moquent de leurs propres travers, les satiristes qui tracent de leur riante campagne et de ses villages tirés à quatre épingles des portraits plus contrastés, les farfelus, surtout, qui croquent des personnages complètement délirants - quoique parfois authentiques. Un genre où excelle Edward Frederic Benson (1867-1940), écrivain prolifique et excentrique notoire : il faut dire qu’il avait pour père un archevêque de Canterbury et pour mère une femme qui, après avoir mis au monde six enfants, s’est tournée vers les amours saphiques. Ça prédispose à n’être pas commun.
Benson, donc, s’est choisi comme terrain de jeux le village de Riseholme, et sa microsociété, dont la reine, en principe incontestée, s’appelle Emmeline Lucas, alias Lucia. Avec son mari Peppino, ils cultivent une idolâtrie italienne, et ne s’expriment que dans un sabir anglo-transalpino-petit nègre. Lucia est une espèce de Madame Verdurin, arbitre des élégances. Elle mène son petit monde à la baguette, et ne supporte pas quand l’un de ses concitoyens - une, surtout - tente de lui ravir la vedette. Comme cette Daisy Quantock et son mari Robert qui s’entichent, elle surtout, de la dernière mode qui trotte : science chrétienne, yoga ou spiritisme. A chaque fois, ces modernes Bouvard et Pécuchet vivent des expériences catastrophiques : la science chrétienne ne guérit pas ; le pseudo-gourou indien brahmane de Bénarès se révèle être un cuistot de Calcutta qui s’enfuit après avoir cambriolé tout le monde ; quant à la princesse Popoffski, ses activités de médium se termineront à Scotland Yard.
Tout cela, raconté avec minutie et un humour pince-sans-rire, est irrésistible. On aime moins, en revanche, Miss Mapp, l’égérie de Tilling et rivale de Lucia. Car si cette dernière est bête, horripilante, elle n’est jamais méchante et finit par se réconcilier avec tout un chacun. Y compris Olga, la célèbre diva qui s’est installée un temps à Riseholme et ne veut que du bien à tout le monde. Miss Mapp, elle, est hypocrite, hargneuse, colérique, et nuisible. Son rôle dans la comédie est plus grinçant. Et l’on est bien content, dans Le travesti masculin, une nouvelle de 1929, de la voir se couvrir de ridicule.
Cette intégrale Benson est une excellente idée éditoriale. Le second volume est annoncé pour l’automne 2017. Mamma mia, il va falloir patienter jusque-là. J.-C. P.