Pour mémoire - et ici, le mot n’est pas vain -, Roger Garaudy, qui vient de décéder avait, fin 1995, publié, d’abord à La Vieille Taupe, célèbre officine négationniste aujourd’hui disparue, puis, peu après, à compte d’auteur, un livre au titre évocateur : Les Mythes fondateurs de la politique israélienne. Plusieurs associations, notamment de déportés comme de résistants, suivies du parquet, se sont saisies judiciairement de ce brûlot, à ranger au même rang que les élucubrations du Protocole des sages de Sion . Cinq informations judiciaires ont été ouvertes. Et Roger Garaudy a dû répondre des délits de contestation de crimes contre l’humanité, de provocation à la haine ou à la violence raciale, ainsi que de diffamation publique raciale. La dix-septième chambre du Tribunal correctionnel de Paris a condamné l’auteur pour la majeure partie des chefs de poursuite. La Cour d’appel de Paris a amplifié la sanction, le 16 décembre 1998, en retenant à son encontre, par cinq décisions concomitantes, la totalité des délits visés. Les magistrats en ont donc conclu à de la prison avec sursis, à des amendes, à des publications judiciaires et au versement de dommages-intérêts. Le 12 septembre 2000, la Cour de cassation rejetait tous les pourvois formés par l’intéressé. Celui-ci s’est alors tourné vers la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La CEDH a mis fin à l’affaire Garaudy, le 24 juin 2003, dans une certaine indifférence. La décision ne manque pourtant pas d’intérêt, autant juridique que politique. Roger Garaudy invoquait l’article 10 de la Convention européenne, relatif à la liberté d’expression. Celui-ci dispose que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques ». Cependant, le second alinéa du même article précise que «  l’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent les mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (…) ». Dans ses attendus du jugement Garaudy, la CEDH considère que, «  concernant la liberté d’expression  », «  si sa jurisprudence a consacré le caractère éminent et essentiel de celle-ci dans une société démocratique (…) elle en a également défini les limites  ». Selon elle, «  il ne fait aucun doute  qu’à l’égal de tout autre propos dirigé contre les valeurs qui sous-tendent la Convention, la justification d’une politique pronazie ne saurait bénéficier de la protection de l’article 10  » ; la juridiction en profite pour fustiger vertement la «  négation ou la révision  » de «  faits historiques clairement établis – tels que l’Holocauste  ». Les juges ajoutent que le livre de Garaudy s’inscrit bien dans cette ligne et non dans une simple dénonciation de la politique israélienne, comme tentait de le soutenir «  l’auteur  ». Ce faisant, la CEDH a, une fois de plus, approuvé le dispositif juridique français en la matière. Celui-ci repose aujourd’hui sur l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, issu de la loi dite Gayssot du 13 juillet 1990. Le texte permet de poursuivre «  ceux qui auront contesté (...) l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité  ». Et ce, même si des juristes et des historiens insoupçonnables se sont émus de la légitimité que cherchent à tirer d’une telle interdiction ceux qu’elle entend combattre et qui crient d’autant plus facilement à la censure que leurs fantasmes nauséabonds, désormais prohibés, ne peuvent être démontés pour l’édification des plus jeunes.     *      * *   Il n’est pas inutile de signaler, à l’occasion de cette chronique, le tout récent livre de Valérie Igounet (déjà auteure, en 2000, d’une Histoire du négationnisme , publiée au Seuil), consacré à Robert Faurisson, portrait d’un négationniste (Denoël). Enfin, Guila Cooper, bibliothécaire à l’Alliance israélite universelle, vient de signer un passionnant article intitulé « Négationnisme et éthique professionnelle » au sein de la dernière livraison du BBF. Elle y dissèque notamment les dilemmes auxquels elle a été confrontée lorsqu’un négationniste s’est mis à fréquenter assidûment la salle de lecture dont elle a la charge…
15.10 2013

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