Ronald Blunden rend hommage à André Bay

Ronald Blunden rend hommage à André Bay

Directeur de la communication du groupe Hachette et directeur de collection chez Calmann-Levy, Ronald Blunden raconte les enseignements qu'il a reçus de ce grand éditeur au début des années 1970.

Par Catherine Andreucci
avec ca Créé le 15.04.2015 à 20h04

Après l'annonce de la mort de l'éditeur André Bay, qui a donné son prestige à la collection de littérature étrangère de Stock «La Cosmopolite» (voir notre actualité), Ronald Blunden, directeur de la communication du groupe Hachette et directeur de collection chez Calmann-Levy, lui rend hommage dans un texte envoyé à Livres Hebdo :

« Au début des années 70, j'eus la chance d'entrer au service d'André Bay comme lecteur de livres en anglais. Toutes les semaines, nous passions en revue mes rapports de lecture, et il m'interrogeait, avec finesse et malice, en me regardant par-dessus ses lunettes en demi-lune, sur mes jugements à l'emporte-pièce, typiques de mon très jeune âge.

Sa dialectique était sévère, mais juste : « Vous avez aimé ? A la bonne heure ! Mais si vous étiez à ma place, cela vous suffirait pour décider de publier ? » . « Bon, admettons que je le prenne, ce livre. Je le vends comment aux représentants, à la presse ? » « Médiocre, vous avez dit médiocre ? C'est curieux, l'éditeur américain, un ami de trente ans, m'en a dit un bien fou. Vous êtes sûr que vous n'êtes pas passé à côté ? » André Bay m'apprenait, semaine après semaine, à juger un texte en professionnel, et non plus seulement en amateur.

Mes avis l'intéressaient peu en tant que tels. Et une fois, une seule, il eut tort : il m'avait confié les épreuves d'un livre américain qui m'avait sidéré, enthousiasmé, et totalement conquis :
Fear of Flying, d'Erica Jong. Il opposa à mes objurgations son phlegme habituel, et laissa le livre filer chez Robert Laffont, où il connut le succès que l'on sait sous le titre Le complexe d'Icare.

Amer et vexé, je pris mes distances et rejoignis l'équipe de lecteurs-traducteurs d'Elisabeth Gille, chez Denoël. Ce n'est que beaucoup plus tard que je pris conscience de l'honneur qu'il m'avait fait en me jugeant digne d'être son élève (un élève payé par son professeur, de surcroît !), et du service totalement désintéressé qu'il m'avait rendu.

Ses enseignements m'ont accompagné toute ma vie d'éditeur, et aujourd'hui que je suis plus âgé que ne l'était André Bay quand il me recevait rue de l'Ancienne Comédie, je m'efforce de les transmettre à mon tour aux générations suivantes. Avec le sens de la dialectique et une pointe de phlegme, cela va sans dire. »

15.04 2015

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