9 janvier & 16 janvier > Littérature France

Le 18 juin 1815, jour de la bataille de Waterloo, dont l’issue était encore incertaine, se tient, au Palais-Royal, un singulier rendez-vous. Joseph Fouché, duc d’Otrante, le très redouté ministre de la Police de Napoléon, qui, à ce titre, avait largement fait harceler par ses services le Marquis de Sade (1740-1814), reçoit Donatien Claude Armand de Sade, second fils de l’écrivain mort indigent à l’hospice de Charenton, le 2 décembre 1814, tandis que l’Empereur, qui le détestait, était encore en exil à l’île d’Elbe. En attendant de connaître quel camp serait victorieux sur le champ de bataille belge, le retors Fouché, assuré de rester en fonction quoi qu’il arrive, entreprend de raconter au fils les « sept vies » de son père. Un père terrible, scandaleux, avec qui ses rapports furent douloureux : ne serait-ce que parce que Sade a passé l’essentiel de sa vie en prison, en fuite ou en exil. Le reste du temps, il harcelait les siens - surtout son épouse infortunée, Renée Pélagie de Montreuil - de sa tyrannie, de ses oukases, de ses exigences extravagantes, de ses lettres souvent vengeresses, voire délirantes.

Voilà la construction romanesque qu’a choisie Jacques Ravenne, romancier à succès (avec Eric Giacometti) des aventures d’Antoine Marcas et sadologue érudit, pour commémorer à sa façon le bicentenaire de la mort de son grand homme. Il dépeint un Fouché fasciné par son vieil adversaire, dont il retrace minutieusement les métamorphoses : libertin sulfureux sous Louis XV, prisonnier rétif sous Louis XVI, leader politique sous la Révolution, auteur à succès sous le Directoire, persécuté sous l’Empire, grand séducteur en dépit de sa laideur… Quant à la septième vie, c’est celle que lui a conférée son œuvre - du moins la partie qui nous en est parvenue, beaucoup ayant été perdu, détruit, volé : Sade est devenu un illustre écrivain, un classique.

De cette œuvre, et Sade lui-même en était parfaitement conscient, qui les recopiait pour en conserver un double, ses lettres en font partie intégrante. On en connaît un millier environ, parfois fragmentaires. Jacques Ravenne en a composé une anthologie précieuse, qui suit pas à pas les principaux épisodes de la vie tumultueuse de l’auteur. Une invitation à le redécouvrir tel qu’en lui-même, monstrueux, obscène, insupportable, génial… Dément parfois, lucide souvent : « Je suis un libertin, écrivait-il ainsi à sa femme en 1781 (depuis le donjon de Vincennes), mais je ne suis pas un criminel ni un meurtrier. » Dont acte. J.-C. P.

 

 

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