Au début du livre, le lecteur s’inquiète un peu. L’auteur, le jeune Raffaël Enault, 28 ans, créateur de mode et du magazine Gonzaï, se le dédie à lui-même, et mêle à son travail quelques chapitres de son "journal", où il raconte, entre autres, à la première personne, le making of de son enquête. On craint que le narrateur ne prenne le pas sur son sujet. Et puis non, mis à part une dernière intervention pas inintéressante, où Enault évoque un épisode assez trouble de la vie de son propre père, bi, serveur dans un bar gai à Albi et en couple avec son patron, qu’il a vécu étant enfant, c’est la biographie qui s’impose, impeccable et très documentée, sur la double vie brève, glorieuse et pathétique, de William Baranès (1965-2005), alias Guillaume Dustan.
Le biographe a tout lu, tout vu, et il a rencontré nombre de témoins, famille, ex et amis de Dustan, mais aussi son premier éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, récemment disparu, qui lui avait permis de faire son entrée, fracassante, en littérature, avec Dans ma chambre, en 1996. Leurs rapports se refroidiront ensuite. Dustan se publiera lui-même chez Balland, dans la collection "Le rayon" (anciennement "Le rayon gay") qu’il y dirigeait, avant - à la suite du rachat de la maison et de la disparition d’un "rayon" contestable et déficitaire - de finir chez Flammarion, grâce à la fidélité de Frédéric Beigbeder. A ce moment, Dustan, atteint du sida depuis 1990, dépressif, esseulé, drogué, malade, parano, était au bord de la folie, et comptait sur la littérature pour rebondir. Trop tard : alors qu’il préparait un livre sur Andy Warhol, l’un de ses gourous, avec Bret Easton Ellis, il est retrouvé mort chez lui à Paris, le 8 octobre 2005. Suicide, ou overdose d’antidépresseurs ? On ne le saura jamais.
Avant cela, ce fils de bourgeois juifs, surdoué - deux licences, de philosophie et de lettres modernes, Sciences po, énarque en 1991 -, nommé magistrat dans des tribunaux administratifs (Papeete, Douai, Marcq-en-Barœul), aurait pu faire une brillante carrière. Mystique voire illuminé, hanté par "le sexe et l’interdit du sexe", il a préféré s’inventer un double, Guillaume Dustan (d’après St. Dunstan de Cantorbéry), flamber et se livrer au "dérèglement de tous les sens" : sexe, drogues - mais pas rock’n’roll.
Pendant un temps coqueluche des médias dans le rôle du "pédé" provocateur, il s’est brûlé les ailes, et sa déchéance fut tragique. Peut-être, les passions s’étant maintenant apaisées, faudrait-il relire certains de ses livres. Jean-Claude Perrier