Alors qu’elle oscillait autour de 95 000 visiteurs, avec une légère tendance à l’effritement, la fréquentation du Salon du livre de Genève a chuté cette année à 89 000 entrées - près de 10 % de la population locale quand même. "Il y avait peut-être des raisons contingentes, liées aux dates de vacances des régions voisines en France ou à la météo, mais nous ne voulons pas prendre le risque de tomber dans une spirale descendante", explique Adeline Beaux. La directrice de la manifestation, lancée en 1986 par Pierre-Marcel Favre, a donc entrepris des changements substantiels pour la prochaine édition, du 25 au 29 avril au palais des expositions, près de l’aéroport.
Plus de pays invités
"Le pavillon d’honneur sera consacré à New York. Nous organiserons et financerons nous-mêmes cette exposition, sans plus solliciter un pays invité", annonce Adeline Beaux. Le salon offrait certes la surface nécessaire aux invités (le Québec fin avril 2017, après la Tunisie, la Russie, le Japon), mais le coût du déplacement du personnel, du matériel et des livres compliquait la recherche d’un partenaire à la fois intéressé et disposant d’une littérature et d’une image assez fortes pour attirer le public.
La ville de New York réunit ces deux qualités. "Elle nous permettra aussi de renouveler les auteurs invités, jusqu’à maintenant surtout francophones", ajoute la directrice de la manifestation. Celle-ci souhaite aussi faire venir des éditeurs et des libraires américains qui pourraient témoigner de leur métier. Ce n’est pas gagné, mais ils seraient très utiles dans le dispositif de relance, intervenant aux journées professionnelles renforcées, dont les thèmes seront précisés en fonction de l’actualité des mois précédant le 32e salon. Deux sont prévues l’an prochain, dont l’une consacrée à l’édition francophone. Genève réserve depuis 2004 une place importante à l’édition africaine, lui consacrant depuis 2015 des assises, soutenues par l’Organisation internationale de la francophonie. L’idée est de les faire évoluer vers la recherche d’échanges et de développements pour les marchés respectifs des éditeurs africains et européens, dans un pays sans passé colonial. Basées à Genève, l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et celle de la Propriété intellectuelle (OMPI) pourraient être impliquées.
Le salon va par ailleurs élargir les périodes de gratuité pour soutenir la fréquentation et "préserver le budget des visiteurs pour l’achat de livres". Mais le nombre des scènes littéraires, qui avaient été multipliées pour créer des animations susceptibles de séduire les publics les plus divers, va être réduit. Une partie des onze librairies va disparaître. Créées pour palier le retrait des groupes français, elles ont permis de sauver le salon, mais elles concurrencent les éditeurs suisses qui sont encore là. Le nombre d’auteurs invités aux frais du salon (650 sur 1 200 présents l’an dernier) sera aussi limité, à 500 en 2018, et moins encore ensuite. "Nous arrivions à une formule hybride, ressemblant à un festival littéraire à contretemps. Genève doit rester un salon, où les éditeurs peuvent exposer toute leur production. C’est important, alors que la visibilité de leurs livres se réduit dans les médias", insiste Adeline Beaux.
A partir de cet environnement reconfiguré, le défi principal incombe à Bertrand Morisset. L’audit qu’il a réalisé a permis de clarifier les problèmes et les hypothèses que la direction du salon percevait. "Mon boulot est de remobiliser les éditeurs français, et de réimpliquer les éditeurs suisses", résume le patron de l’agence de conseil Tome2, ancien commissaire général du Salon du livre de Paris. Il doit maintenant persuader les ex-exposants de la nécessité de revenir au salon pour ne pas se couper du marché romand.
Remobiliser
Les groupes français sont bien implantés dans la région, avec des équipes de représentants et des filiales. Ces dernières contrôlent l’importation de leurs livres, monopole toutefois contourné par la Fnac, et condamné par la Commission de la concurrence (la décision est en appel). Le coût de cette diffusion propre à la Suisse est supporté par les indépendants, la grande distribution et la chaîne Payot, et les groupes français ont procédé à des arbitrages dans leurs charges, dont le salon de Genève a fait les frais. Seul Madrigall est resté, avec Actes Sud, Libella et L’Ecole des loisirs, parmi les maisons les plus importantes.
Adeline Beaux ne précise pas l’investissement nécessaire à ces projets, mais reconnaît que le salon se trouve dans une situation particulière : Palexpo, société gestionnaire du site d’exposition et propriétaire depuis 2008 du salon, racheté à son fondateur, n’exige pas de rentabilité, mais des comptes à l’équilibre. Et la Fondation de l’écrit soutient la manifestation à hauteur d’un million de francs suisses (860 000 euros).