Cinquante nuances de bleu. « À la plage, j'ai contemplé la mer. Des voiliers, des surfeurs, des nageurs, un dauphin, pas de dauphin. [...] Nos jambes sous le soleil. Je l'ai surprise à les regarder pendant que nous parlions, et j'ai eu une conscience aiguë de l'épaisseur des miennes. Je me demandais si elles lui plaisaient ou si elle y voyait l'indice d'un manque de discipline chez moi. Je lui ai dit : "Mon père disait que si jamais j'avais besoin de lui parler, c'est ici qu'il serait." »
Tout commence comme ça. Par ce père qui n'y est jamais, qui n'y sera plus jamais. Il est tombé d'une falaise et a été happé par les flots du Pacifique, non loin de Los Angeles, sous les yeux de sa fille, Echo. Son corps n'a pas été retrouvé. Depuis, peut-être parce qu'elle l'attend encore, celle-ci est retournée vivre auprès de sa mère à laquelle l'attache moins des souvenirs du foyer désormais désagrégé qu'un silence assourdissant... Echo, petite actrice en mal de rôles, aura bientôt 30 ans, mais elle en avoue 22 puisque sa plastique et le désir envahissant de quelques hommes autour d'elle lui autorisent un tel mensonge. La jeune femme incarne des silhouettes dans des navets de série Z, tourne des panouilles publicitaires, fait la modèle nue dans un cours de sculpture, couche avec son agent, prend un amant musicien... Elle se dissipe sans que son deuil fasse de même. Echo est perdue dans Los Angeles, dans son désarroi, dans son ennui. Avec sa mère, elle n'a guère que le chagrin en commun et nullement la même façon de le vivre. Elle attend que quelque chose se passe, n'importe quoi qui la fasse se sentir enfin vivante. Le désir, une rencontre... Ce sera celle qu'elle fait avec les nouveaux voisins de sa maison familiale de bord de mer, un couple, Orly et Lonnie. Orly va se révéler être une dominatrice SM et Lonnie, son homme soumis. Entre elles deux et entre eux trois va naître une relation tissée d'amour et de douleur, comme la réponse à une question qu'Echo ne savait pas s'être posée... « Aux côtés de mon orgasme, le chagrin et la terreur me traversaient. Me balançaient contre une bagnole. Et sont partis. Tout le monde s'en allait toujours. En me laissant seule. »
Gosse perdue aussi adorable qu'exaspérante, Echo est l'héroïne de Permission, le premier roman de Saskia Vogel, une jeune Américaine installée à Berlin où elle traduit en anglais des textes suédois et allemands. Tout ce qui, dans ce livre, pourrait relever d'une certaine forme de vulgarité participe au contraire à la puissante autant que troublante séduction qu'il recèle. Il y a là un talent, une audace et finalement, une justesse qui ne sont pas courants et qui ramènent Saskia Vogel à toute une famille de littérature américaine indie et féminine illustrée déjà par Mary Gaitskill, Eve Babitz et plus encore, l'Emma Cline de L'invitée. Car que l'on ne s'y trompe pas, le sexe, le désir ne sont ni plus ni moins importants que les vagues du Pacifique, une maison sur la falaise, une lueur de lampadaire dans la nuit banlieusarde et californienne. Permission est une suite d'épiphanies que son lecteur ignorait attendre.
Permission
La Croisée
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Valérie Le Plouhinec
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 21,10 € ; 224 p.
ISBN: 9782413088769