Le Pays basque a été christianisé assez tardivement, et, semble-t-il, non sans peine. Comme d’autres régions de France et d’Europe, il conserve dans ses gênes un vieux fonds païen, un corpus de légendes et de mystères, et aussi la mémoire d’épisodes violents. Lutte entre fois et communautés, procès en sorcellerie, massacres… C’est dans ce terreau fertile et romanesque qu’Eugène Green, cinéaste et écrivain américain, français d’adoption et basque de cœur, a choisi de puiser le sujet de son nouveau roman, L’inconstance des démons. Un polar ésotérique et métaphysique, où le Bien, servi par le héros et narrateur Nikolau Aztara, un Basque bascophone, ancien neurologue reconverti, suite à une cascade de drames personnels, dans la bibliophilie et le commerce de livres anciens, finira par triompher du Mal, incarné par un sinistre individu dont on ne dévoilera pas ici, bien entendu, l’identité. Mais au prix d’une enquête serrée, dangereuse pour la vie de son jeune ami Eguzki Zurgin, possédé par des voix qui le font participer à un procès en sorcellerie du XVIIIe siècle, où périt une partie de la famille de sa mère, des aristocrates. Et après une série de meurtres atroces, par crucifixion, décapitation, éviscérations et autres joyeusetés des temps barbares, lesquels ont tendance à redevenir, sinistrement modernes.
Certes, Eugène Green n’évite pas tout le folklore des romans gothiques, sorcière avec son bouc noir, vieux grimoire où se trouverait la clé du mystère, château en ruine, souterrains murés et passages secrets. L’hémoglobine coule à flots. Mais son livre possède bien des résonances contemporaines : le héros est un homme de science, un médecin rationaliste par nature et par fonction, et le combat du Bien et du Mal, de quelque façon qu’ils s’incarnent, demeure éternel. Quant au nœud de toute cette affaire, il repose sur la haine puisée dans l’histoire de sa famille, par quelqu’un qui s’estime déclassé, d’une jalousie pathologique, et qui n’a jamais admis que ses ancêtres aient été, du XIIe au XIXe siècle encore, appelés "cagots", descendants de modestes pêcheurs, et traités, en Navarre, comme de véritables parias. Il n’est rien de pire que les "justiciers" fanatiques. J.-C.P.