Capitalisme gore est une histoire de la violence. Publié en 2010 au Mexique, ce livre souligne les liens entre néolibéralisme et narcotrafic. Prenant pour point de départ de son analyse le paysage économique et social mexicain, où se déploie une violence sans nom que le gouvernement ne tarit pas, la philosophe Sayak Valencia montre à quel point celle-ci joue un rôle structurant dans la « dérive du capitalisme ». L'autrice prévient : « Le discours du premier monde ferait bien de prêter oreille à ce que les discours du tiers-monde nous disent des dérives du monde capital et du monde en général. » Mais cette menace-là n'est évidemment pas celle de la philosophie, c'est celle de la sacralisation contemporaine de l'économie et de la sur-consommation, aujourd'hui perceptible à l'échelle globale. La violence, poussée à son paroxysme dans un pays comme le Mexique, trouve des échos dans n'importe quel coin du monde pris dans le système capitaliste. Quand l'État-nation devient un marché-nation, rien d'étonnant à ce que la partie délaissée, du mauvais côté des inégalités générées par le capitalisme, se soumette à une économie clandestine qui promet une violence exacerbée. « Le capitalisme gore, c'est le corps et la mort comme produits, l'assassinat comme travail rentable. » Ce que montre aussi Sayak Valencia dans ce texte, c'est la culture érigée autour de la criminalité, de la figure de l'assassin et du crime gore, qui finalement sert le capitalisme quand les États disent lutter contre. « La mort est à la mode » à la télé, dans les romans, les jeux vidéo, dans l'art. Les vidéos de décapitations, de tueries, la théâtralisation de la torture deviennent des éléments de fantasmes, largement véhiculés par les médias et intimement liés au virilisme. L'incarnation de cette violence produite par le capitalisme, c'est le « sujet endriague » : le monstrueux qui s'autoaffirme dans la violence.
Convoquant à la fois littérature et sciences humaines - Roberto Saviano, Judith Butler, Paul B. Preciado, Gilles Lipovetsky, Virginie Despentes -, Sayak Valencia ne nous laisse pas seuls face à ce tragique constat. Embrassant, dans l'avant-dernier chapitre « Nécropolitique », les pensées d'Achille Mbembe et de Giorgio Agamben (l'« état d'exception »), elle invite à la création de nouvelles définitions, de nouvelles subjectivités, de nouvelles masculinités, aussi, dans une perspective transféministe qui réintègre la politique du corps, à partir du corps. « Ce n'est qu'à condition d'être capables de penser la douleur produite par la violence sur le corps des autres que nous pourrons clairement et distinctement concevoir que la mort est une voie dystopique d'empuissancement. »
Capitalisme gore Traduit de l'espagnol (Mexique) par Louise Ibáñez-Drillières
Cambourakis
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 24 € ; 320 p.
ISBN: 9782366247374