Les violences conjugales ont récemment occupé le devant l’actualité avec les procès de Jacqueline Sauvage, graciée "partiellement" par François Hollande, ou de Bernadette Dimet, condamnée à cinq ans de prison avec sursis pour avoir tué son mari violent qui l’avait humiliée pendant quarante ans. Ces faits divers ne sont pourtant que la partie visible de l’iceberg des brutalités domestiques et on pense qu’au XIXe siècle la justice s’intéressait fort peu à ce domaine. A tort. Il fallait donc une historienne du droit pour aborder un tel sujet et dépasser quelques présupposés tenaces.
Dans ce livre tiré de sa thèse soutenue en 2007, Victoria Vanneau explique brillamment comment la procédure s’est construite et comment la justice s’est modernisée. Malgré l’article 213 du Code civil de 1804 qui enjoint à la femme "obéissance au mari" - article modifié en… 1938 -, les juristes ont subtilement investi ce qui relevait de la sphère privée. En puisant dans les archives des cours d’assises et des tribunaux de police correctionnelle de Paris et de Versailles entre 1811 et 1900, cette spécialiste des violences de genre montre comment les magistrats du XIXe siècle, le siècle des Codes, se sont saisis d’un phénomène social ignoré par le droit - parcimonie des plaintes oblige - pour ne pas laisser impunies ces brutalités exercées au sein des couples.
Cette excellente étude publiée par la jeune maison Anamosa dirigée par Chloé Pathé, ancienne directrice éditoriale des éditions Autrement, rapporte de nombreuses affaires faites de souffrances, de domination et de honte. Mais elle nous éclaire aussi sur la situation actuelle et la difficulté pour la justice à se saisir de ces sévices, comme en témoigne cet échange lors d’une audience :
"Le juge - En votre qualité de victime de violences conjugales, souhaitez-vous demander des dommages et intérêts à votre conjoint ?
La victime - Je ne veux pas d’argent. Ce que je veux, c’est de l’amour !
Le juge - On ne peut pas condamner à l’amour."
On mesure le travail juridique qui reste à accomplir, d’autant que les violences conjugales sont loin d’avoir disparu. En 2014, 118 femmes - c’est-à-dire une tous les trois jours - et 25 hommes sont morts sous les coups de leurs conjoints. L. L.