Comment appréhendez-vous le contexte économique pour 2014 ?
Selon les experts, la tonalité générale sera plus légère. Les premiers signaux d’une maigre reprise, qui se sont manifestés en 2013, devraient se confirmer cette année. Toutefois, le mouvement s’annonce plus timide en France qu’à l’étranger. Surtout, cette croissance sera trop faible pour engendrer un sursaut du pouvoir d’achat, sur lequel pèseront également les mesures fiscales, qui continuent à s’exprimer en 2014. Les ménages continueront donc à arbitrer leurs dépenses, une pratique dont les industries culturelles souffrent beaucoup. A cela s’ajoute l’émergence de modes de consommation tournés vers le partage, le don et l’emprunt, qui détournent l’afflux de clientèle de l’achat de livres neufs. Bref, ce ne sera pas pire, mais pas forcément mieux.
L’inquiétude des libraires face à Amazon reflète-t-elle l’atmosphère de l’ensemble du commerce physique ?
Les différents acteurs sont tétanisés par l’opérateur américain, qu’ils surveillent de très près. Toutefois, la maigre reprise attendue en 2014 devrait permettre de mettre en place des initiatives annoncées ici et là en 2013. Les mutations au sein du commerce physique vont donc s’accélérer. Ce qui signifie que les libraires vont devoir se montrer extrêmement vigilants, être capables de réagir très vite et ne pas laisser le monopole de l’initiative aux autres.
De quelles marges de manœuvre la librairie indépendante dispose-t-elle ?
Cette manière de consommer autrement, qui favorise le collaboratif et la contribution, résonne avec les valeurs de la librairie indépendante. Il est donc dommage qu’elle ne se saisisse pas davantage de ce levier, en proposant par exemple de l’occasion, pour créer de la valeur et suppléer l’érosion enregistrée sur le marché du neuf. Autre élément favorable, le discours ambiant autour d’Amazon, qui a changé en 2013, mobilise désormais un réflexe citoyen qui croise la fibre militante d’une partie de la clientèle de la librairie indépendante et pourrait favoriser sa fréquentation. Ici, il faut toutefois rester prudent : ce n’est pas un mouvement massif, mais il pourrait s’accentuer en 2014 et provoquer un effritement de la croissance du pure player américain.
Sentez-vous les libraires mobilisés face au changement des modèles de consommation ?
Il existe incontestablement un noyau dur de professionnels qui a compris qu’il est plus que nécessaire de faire bouger les lignes. Mais l’impression qui domine encore, c’est que le gros des troupes reste encombré par une culture sectorielle dominée par une approche trop resserrée de la clientèle. En outre, ces libraires se pensent encore trop comme des libraires avant d’être des commerçants. Or, sur ce plan commercial, il reste énormément à faire, comme le démontre notre étude présentée en juin à Bordeaux (2). Et en premier lieu, admettre que l’avenir passe par la mise en place de nouveaux bouquets de services et de biens qui n’appartiennent pas nécessairement au secteur culturel.
Propos recueillis par C. Ch.
(1) Observatoire société et consommation.
(2) Voir www.syndicat-librairie.fr/fr/etudes_complètes_ présentées_aux_rencontres