Droit de l’édition

Un éditeur qui trompe énormément ?

Le contrat d'édition - Photo Olivier Dion

Un éditeur qui trompe énormément ?

Les auteurs ont régulièrement des griefs quant au travail de leur éditeur pour promouvoir leurs livres. Où finit la frustration naturelle et où commence la faute ? Une affaire récemment jugée montre que la limite est plus difficile à déterminer que le sens commun ne l'imagine.

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 11.09.2024 à 14h12

Pour mieux saisir, les relations si particulières entre un auteur et un éditeur, il faut relire les lettres incendiaires qu’écrivait Louis-Ferdinand Céline à Gaston Gallimard lui reprochant à la fois la faiblesse de ses ventes, l’absence de publicité et d’articles de presse et encore toutes sortes de griefs. Les auteurs se plaignent souvent et les éditeurs se lamentent de tant d’ingratitudes. Ainsi, va le monde de l’édition.

En 2019, une dizaine d’auteurs avaient saisi la justice après avoir été déçus par leur éditeur. Ils lui reprochaient, pêle-mêle, des manœuvres déloyales pour les amener à contracter, des mensonges quant au fonctionnement de la société, l’encaissement de 2 000 ou 4 000 euros pour être édité sans qu'aucune somme n'ait été par la suite investie dans la distribution et la commercialisation des ouvrages, l’absence de reddition de comptes sous des prétextes fallacieux, l’impossibilité de joindre l'éditeur après la signature des contrats, des tirages ridicules en violation des engagements contractuels, le faible nombre (voire l’absence) de séances de dédicaces ou de publicité organisées, l’absence de déclaration des ouvrages auprès de la BnF, l’absence de réception d'exemplaires desdits ouvrages par les libraires et la distribution sur un seul canal, celui du site Internet.

Ils se basaient sur deux fondements juridiques : la nullité des contrats pour dol à titre principal et l'inexécution fautive des contrats à titre subsidiaire.

Sur le dol, la Cour a considéré qu’il appartenait aux auteurs de démontrer les manœuvres de l’éditeur destinées à provoquer une erreur de nature à vicier leur consentement. Les auteurs avaient ainsi invoqué une longue liste de griefs impressionnants pour un seul et même éditeur, à savoir que la société d’édition était à sa création en 2008 une entreprise de pneumatiques, avant que son objet social soit transformé en maison d'édition, qu’aucun comité de lecture composé de cent trente membres (!) n'avait été mis en place en contradiction avec la communication mise en œuvre avec les auteurs, que l’éditeur, qui se présentait aux auteurs comme le directeur de la publication de la société éditrice et riche d'une ancienne et solide expérience dans l'édition, était un pseudonyme derrière lequel se cachait l’actionnaire de la société d’édition, qui ne disposait d'aucune expérience dans le milieu de l'édition et qu’il avait été condamné pour escroquerie et que les manuscrits étaient édités à bas coût, avec de nombreuses erreurs et sans l'ensemble des mentions légales obligatoires et étaient uniquement disponibles à la demande.

Néanmoins, malgré tous ces griefs, ils ont été déboutés de leurs demandes faute pour eux d’apporter les éléments probants des faits qu’ils avançaient. La Cour (Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 2, 21 Juin 2024 – n° 22/20801) a estimé qu’ils ne procédaient que par suppositions et que les copies d'écran de sites Internet de blogs fournis au débat, sans que les circonstances de fixation soient connues et qui n'avaient pas date certaine, ne pouvaient être prises en considération, faute de valeur probante.

Sur l’inexécution fautive des contrats soutenue à titre subsidiaire, la Cour n’a pas été plus conciliante.

En effet, elle a considéré que s'il existait une différence entre le nombre des tirages prévu aux contrats et celui déclaré à la BnF par la société éditrice, les redditions de compte adressées aux auteurs faisaient état de ventes supérieures au nombre de tirages déclaré, certaines mentionnant la vente de plusieurs centaines d'exemplaires (livre broché), chiffres supérieurs au nombre de tirages déclaré à la BnF, il ne pouvait se déduire de cette différence que les ouvrages étaient tirés à la demande.

Pour la Cour, ce manquement n'était pas, de toutes manières, d'une gravité telle qu'il justifierait la résiliation du contrat aux torts de la société éditrice. Pour le reste, elle jugeait aussi que les auteurs échouaient à démontrer un manquement suffisamment grave de la société éditrice estimant que les manœuvres déloyales et mensonges quant au fonctionnement de la société éditrice allégués par les auteurs n’étaient pas établis que l’éditeur avait bien adressé aux auteurs des redditions de comptes contrairement à ce qu'ils soutenaient.

Preuves d'amour

De même, la Cour notait que les auteurs ne s’étaient pas inquiétés de l'absence de séance de dédicace ou d'une absence d'exploitation commerciale suffisante et que le défaut d'investissement des sommes versées par les auteurs à l'éditeur dans la distribution et la commercialisation des ouvrages n'était pas caractérisé ; aucun élément ne démontrant que les ouvrages n'étaient pas distribués en librairie.

La leçon de cette affaire est que les auteurs, qui ont tant besoin de preuves d’amour de leur éditeur, doivent aussi faire leurs preuves pour s’en plaindre. Plus prosaïquement, la Cour d’appel de Paris a-t-elle peut-être voulu réfréner les velléités des auteurs déçus contre leur éditeur pour éviter des contentieux en masse.

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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