Avant-critique Correspondance

Simone de Beauvoir et al., édition Marine Rouch, "Chère Simone de Beauvoir. Vies et voix de femmes "ordinaires". Correspondances croisées 1958-1986" (Flammarion)

Simone de Beauvoir à Paris en 1971. - Photo vn/nm/lfb - AFP - GEORGES BENDRIHEM

Simone de Beauvoir et al., édition Marine Rouch, "Chère Simone de Beauvoir. Vies et voix de femmes "ordinaires". Correspondances croisées 1958-1986" (Flammarion)

Marine Rouch a choisi, parmi les quelque 20 000 lettres reçues et conservées par Simone de Beauvoir, ses correspondances avec cinq femmes d'importance.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 10.06.2024 à 09h00

La lettre à Simone. Universitaire, Marine Rouch a passé dix ans à la BnF, à dépouiller les 20 000 let-tres du fonds Simone de Beauvoir, léguées par sa fille adoptive Sylvie Le Bon de Beauvoir en 1995. Elle en a même tiré une thèse de doctorat, dont le présent livre est issu.

Marine Rouch commence par retracer une brève histoire de la « lettre au grand écrivain », un genre bien français qui remonterait à Rousseau, mais s'est répandu au XIXe siècle (les concierges de Hugo ou de Zola devaient être débordés), et est quasiment devenu une institution au siècle suivant, à la faveur de la médiatisation croissante des intellectuels. Surtout depuis l'après-guerre et l'existentialisme, dont le couple Jean-Paul Sartre-Simone de Beauvoir fut la vedette. À partir du Deuxième sexe (1949), son essai à scandale et à succès, considéré comme la pierre angulaire du combat féministe, Beauvoir devint l'icône de toute une génération engagée à gauche, féministe, anticolonialiste, pacifiste voire révolutionnaire. Dont nombre de femmes, bien sûr, souvent jeunes, enfermées dans leur milieu, leur famille, leur province, et les conventions séculaires. Starisée après son Goncourt de 1954 pour Les mandarins, puis ses Mémoires d'une jeune fille rangée (1958), où elle livrait la part la plus personnelle, intime d'elle-même (« Vous êtes descendue d'un piédestal », lui écrivait une de ses correspondantes en 1959), Beauvoir endossa un rôle de porte-parole, de modèle, de guide, mettant sa notoriété au service de toutes les causes qui lui étaient chères, dont le féminisme, à propos duquel elle se « radicalisa » dans les années 1970.

Simone de Beauvoir reçut donc énormément de lettres, qu'elle conserva, ce qui est rare, mais auxquelles elle répondit, en dépit de son œuvre à faire et de ses multiples engagements, ce qui est plus rare encore. Et parfois, avec certaines de ses interlocutrices, ce sont de véritables relations qui se sont engagées, sur plusieurs années, et avec d'éventuelles rencontres. Amicales, fraternelles, et parfois utiles. Toujours attentive, bienveillante, conseillante, Simone de Beauvoir savait aussi se montrer efficace : ainsi, elle aida Huguette Céline Bastide, la petite institutrice de Lozère, à devenir autrice, publiant plusieurs de ses textes, après 1968, dans la prestigieuse revue Les Temps Modernes qu'elle codirigeait avec Sartre, et suscitant ainsi la parution, l'année suivante, au Mercure de France, d'Institutrice de village, le seul livre publié de Bastide. De la presse, des polémiques, un succès. Mais après, ses manuscrits furent refusés partout. Elles se sont vues à partir de 1974, et se sont écrit jusqu'à la mort de Beauvoir en 1986.

On lit aussi ici les échanges avec Colette Avrane, Mireille Cardot, Claire Cayron, et l'Américaine Blossom Margaret Douthat Segaloff, qui a hélas perdu les réponses à ses lettres. Leur point commun : toutes ont écrit et publié, encouragées par leur « chère Simone », dont elles ont également nourri la réflexion et les engagements. Quelle plus belle manière, pour un écrivain, d'être au monde ?

Simone de Beauvoir et al. Édition Marine Rouch
Chère Simone de Beauvoir. Vies et voix de femmes « ordinaires ». Correspondances croisées 1958-1986
Flammarion

Tirage: 3 500 ex.
Prix: 23 € ; 384 p.
ISBN: 9782080444264

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