Comment ressentez-vous la pression de succéder à l’emblématique Pascal Mériaux, cofondateur des Rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens ?
La pression existe, mais elle est positive ! Car c’est un changement dans la continuité. D’abord parce que j’étais déjà coordinatrice du festival depuis 2020. Ensuite, je me sens légitime, parce c’est Pascal Mériaux qui était alors venu me chercher, après une première collaboration deux ans plus tôt, quand les Rendez-vous avaient investi pour la première fois la Halle Freyssinet. Enfin, Pascal me nourrit au quotidien, car il est toujours à la tête du Pôle BD Hauts-de-France, qui regroupe les Rendez-vous à travers l’association On a marché sur la bulle, le centre de ressources, les services éducatifs avec nos quatre médiateurs, et les éditions de la Gouttière.
L’arrivée dans la Halle Freyssinet, un immense bâtiment de la SNCF désaffecté, a marqué un changement de dimension du festival. Comment les bénévoles de l’association organisatrice, qui ont longtemps été au cœur de l’action, ont intégré cette évolution ?
L’équilibre entre la nécessaire professionnalisation de l’événement – qui a doublé sa fréquentation en changeant de lieu – et la poursuite de la dynamique bénévole, qui est une spécificité des Rendez-vous, est délicat à trouver. Certains bénévoles ont pu se sentir dépossédés de leur festival, et je suis très attentive à ce qu’ils ne le soient pas.
Ils sont investis dans la programmation artistique.
Oui, nous avons une cellule artistique, composée de salariés et de bénévoles élus tous les deux ans. C’est un modèle collégial unique, qui permet une grande ouverture d’esprit. Avec toujours dans l’idée d’avoir une variété dans les propositions, les genres et les tranches d’âge visées, car nous revendiquons un positionnement familial.
Si ce n’est pas dans la programmation artistique, quels sont les sujets dans lesquels vous souhaitez apporter votre touche personnelle ?
Alors que notre cellule artistique est encore composée majoritairement d’hommes, je veux être très vigilante sur la place des autrices. Dans le choix des expositions, mais aussi sur la gestion des invitations : il peut en effet être moins facile pour une autrice que pour un auteur de venir seule en festival, sans équipe d’éditeur avec elle, notamment pour des raisons familiales. De plus, la dimension écologique me tient à cœur, car je crois que les festivals de BD sont en retard sur ce sujet.
"La Fédération doit aussi nous aider à être mieux entendus des pouvoirs publics"
Est-ce que la fédération des festivals, le Club 99 (avec les festivals de Blois, Bastia, Formula Bula, Lyon, Colomiers, Aix-en-Provence…), lancée fin 2023, peut vous aider sur ce thème ?
Oui, cette question est à l’ordre du jour, comme celle de la mutualisation de la création d’expositions. On sent déjà les effets bénéfiques de se parler et d’échanger nos idées et nos bonnes pratiques. La Fédération doit aussi nous aider à être mieux entendus des pouvoirs publics.
Le festival est gratuit pour le public et n’a pas de stands d’éditeurs. Comment vous financez-vous ?
Les collectivités – Ville, Département, Région – et l’État nous soutiennent, ainsi que le CNL et la Sofia, pour un budget total de 650 000 euros. La billetterie est gratuite depuis le Covid, mais les tarifs étaient de tout façon très modestes auparavant : et nous nous sommes rendus compte que cela se répercutait positivement sur le chiffre d’affaires du libraire, donc c’est une décision vertueuse. Toutefois, nous coproduisons avec les éditeurs le quatrième et dernier week-end : ils financent la venue de leurs auteurs, et nous les valorisons au mieux. Ce système est récent et encore à l’essai, mais il renforce nos relations avec les maisons d’édition.
Après avoir grandi très vite en peu de temps, les Rendez-vous de la BD cherchent-ils une formule stabilisée pour les années à venir ?
Oui et non, car nous devrions déménager en 2026, sur un site tout proche, mais fort différent : un ancien tri postal de 11000 m2 que nous partagerons avec le FRAC Picardie et l’école d’animation 3D Waide Somme. Nous allons devoir nous réinventer car la configuration du lieu change énormément, mais nous allons surtout nous renforcer pour développer une programmation artistique à l’année. Nous imaginons déjà avoir une exposition manga qui dure au-delà du seul festival, et pourquoi pas développer les résidences d’artistes sur le territoire… Ce sera une nouvelle étape importante pour tout le Pôle BD.