Le parti des Le Pen a annoncé, lors de son université d’été, vouloir baptiser du nom de Bernanos la promotion 2010 du Front National de la jeunesse (FNJ)… (voir actualité du 31 août 2010 ) Gilles Bernanos, qui est officiellement administrateur de la succession de l’auteur d’Un curé de campagne , s’est insurgé contre cette « t entative de récupération » de son aïeul, et ce « sans autorisation de ses ayants droit et en violation flagrante de ses idéaux. (…) Cette utilisation opportuniste du nom de Georges Bernanos est abusive (…). Celui-ci a consacré sa vie à lutter contre les totalitarismes, qu'il s'agisse de Franco, Hitler ou Mussolini. Il s'est engagé dès juin 1940 pour la France Libre et contre le Maréchal Pétain, qu'il considérait, contrairement à M. Le Pen, comme un traître qui « déshonorait les morts de Verdun » (…)? Il n'existe rien de commun entre l'idéal de liberté, l'esprit de résistance et l'humanisme de Georges Bernanos, et le parti de M. Le Pen  ». Et d’envisager une action judiciaire. La tache risque d’être compliquée, même s’il existe des armes juridiques. Ou des circonstances propitiatoires pour les héritiers. En l’occurrence, le FNJ aurait planché sur l’œuvre de l’écrivain. Or, toute utilisation publique des textes de Georges Bernanos peut s’avérer une faille au profit de ses héritiers. En effet, le droit moral, tel que prévu par le Code de la propriété intellectuelle et appliqué par la jurisprudence, permet d’interdire les exploitations qui seraient certes suffisamment courtes pour bénéficier du droit de citation, mais malmèneraient le «  droit au respect de l’œuvre  ». Il faudrait pour cela démontrer, ainsi que l’exigent les tribunaux, que la prose est dénaturée, en particulier par le contexte dans lequel elle est soudainement plongée. Il en serait de même, par exemple, si l’œuvre du romancier chrétien était rééditée dans une collection de livres érotiques… En clair, deux conditions sont à réunir pour que les Bernanos puissent saisir valablement la justice sur ce terrain : d’une part, que l’œuvre en tant que telle soit utilisée ; d’autre part, que cette utilisation soit contraire à la pensée de celui qui, dans sa jeunesse, a fréquenté l’Action française. Par ailleurs, il existe une jurisprudence sur le «  droit au nom  ». La décision la plus précise sur le droit au nom concerne Eric Cantona, auquel le Tribunal de grande instance de Nanterre a donné raison, le 6 avril 1995, contre un magazine de football qui avait publié un hors-série entièrement consacré au joueur. Les juges ont clairement affirmé à cette occasion qu’« indépendamment de la protection de sa vie privée, tout individu, fût-il célèbre, dispose sur sa propre image, attribut de sa personnalité, d’un droit exclusif, lui permettant d’autoriser ou non sa reproduction, et de s’opposer à ce qu’elle soit diffusée, quel qu’en soit le moyen, sans son autorisation expresse ou tacite, (…) il en est de même en ce qui concerne son nom ». Toutefois, en matière éditoriale, cette jurisprudence reste à géométrie variable. Mouna Ayoub en a fait les frais pour avoir assigné, en vain, l’éditeur d’un ouvrage intitulé Mouna Ayoub, l’autre vérité . En outre, le droit au nom est l’une des branches des droits de la personnalité. Tout comme le droit à l’image ou le droit au respect de la vie privée, il est donc considéré par les magistrats comme non transmissible aux héritiers. Ce droit s’éteint au décès de l’auteur. Seule la descendance de March Bloch avait obtenu en justice le changement de nom de la Fondation Marc Bloch – devenue, par force judiciaire, Fondation du 2 mars – car l’un de ses créateurs avait adressé  un courrier à la famille se soumettant à sa décision. C’est dire si le Front National — qui, il y a quelques années, avait déjà emprunté sans autorisation le visage du mannequin Linda Evangelista — risque de narguer quelque temps la succession Bernanos.
15.10 2013

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