Qui a déjà fait le trajet Paris-Orléans en train sait que le surgissement dans le paysage d’un viaduc en béton annonce son arrivée à destination. Ce projet d’aérotrain conçu à la toute fin des années 1960 par un certain Jean Bertin fut abandonné dès l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, laissant en pleine Beauce ce tronçon de monorail aérien - 18 kilomètres de rampe surélevée à sept mètres du sol -, tel un vestige d’une utopie de vitesse avortée: les passagers devaient être transportés sur coussin d’air à 430 km/h. Le viaduc fut longtemps le dazibao des militants anti-avortement. Plus tard, des graffitis en faveur de la zad de Notre-Dame-des-Landes allaient recouvrir sa surface bétonnée.
Après La légende (Fayard, 2016), où il explorait les catacombes romaines, Philippe Vasset dessine dans Une vie en l’air (même éditeur) la topographie fantasmée que projettent ces neuf arcs de cercle barrant la plaine. Les élucubrations du petit garçon foisonnent; l’écrivain adulte se souvient encore. Le monorail était un tremplin pour delta-planes à roulettes, espèces de machines volantes aux ailes semblables à des ptérodactyles: "Je me racontais ces fables en marchant vers l’école, ou bien sur la banquette arrière de la voiture familiale […]. La travée de béton était mon véhicule, une sorte de compagnon légendaire qu’il me suffisait d’enfourcher pour échapper à l’ennui." La rampe devient une marge à partir de laquelle s’écrivent les histoires, un "accélérateur de fictions". Philippe Vasset signe ici une réflexion sensible sur le rêve et l’inachevé. S. J. R.