Avant-critique Roman graphique

Sylvain Bordesoules, Simon Johannin, "L'été des charognes" (Gallimard)

L'été des charognes Sylvain Bordesoules - Photo ©Sylvain Bordesoules/Gallimard

Sylvain Bordesoules, Simon Johannin, "L'été des charognes" (Gallimard)

Pour son premier album, Sylvain Bordesoules adapte de façon admirable L'été des charognes, le roman âpre de Simon Johannin. Un choc.

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Par Benjamin Roure
Créé le 21.05.2023 à 11h00

Morne plaine. En été, à la campagne, pour les gamins qui vivent là à l'année, les vacances n'ont pas un goût mémorable. Plutôt celui de l'ennui, du barbecue tous les jours parce qu'on ne peut pas manger dedans à cause de l'invasion de mouches. Et un parfum, celui de la sueur rance, de la bouse, de la bière tiède. Et cette année, celui des charognes de brebis décimées après une attaque de chiens. On suit un jeune garçon, qui fait le fier avec son meilleur pote. T-shirt France 1998 floqué Zidane sur le dos, il fait les foins, ramène les darons ivres morts après la soirée tarot, tente d'éviter leurs mandales, profite quand il peut de la seule télé du bled. Chaque jour. Jusqu'à la rentrée. Où il faudra prendre le car à l'aube et renifler à pleines narines les effluves des usines d'engrais. « Elle est là, la vie, collée au reste et un peu terne, et pas très belle, comme tout le monde. Alors on se serre les uns les autres et on frotte pour la faire briller un peu, pour faire passer du courant. On reste à côté des cheminées pour souffler sur les braises pour qu'on ait comme chaud au-dehors alors que le dedans est gelé d'incertitudes. »

Dans L'été des charognes, son premier roman remarqué (Allia, 2017), Simon Johannin racontait avec une langue d'une poésie noire et crue la France rurale mais pas bucolique, celle des oubliés, de ceux qui triment en silence, en vase clos, sans espoir mais pas sans émotions. Pour sa première BD, Sylvain Bordesoules, diplômé de l'école parisienne Cesan, lui donne corps de la plus belle des manières. Armé de ses marqueurs à alcool Copic, il brosse des cases au réalisme pictural saisissant, étouffant, souvent à la limite de la nausée, quand ses personnages se perdent dans l'ivresse ou saignent les bêtes. Mais il prend bien garde de ne jamais en faire trop, car malgré la violence physique et morale qui règne là, ses personnages sont des humains, fracassés mais debout, toujours sur un fil. Pour son antihéros, le lycée sera une échappatoire jouissive mais aussi le révélateur de sa profonde détresse, parce qu'à force de nager à contre-courant, on finit par se noyer. Dans ce roman graphique d'une impressionnante maturité, les dessins choquent, les mots irritent, le récit bouscule. On appelle ça une révélation.

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