Cela fait déjà plus de 10 ans que vous êtes la traductrice d’Abdulrazak Gurnah, comment l’aventure a-t-elle débuté ?
Tout a commencé au Serpent à Plumes avec Pierre Astier au début des années 2000. Il avait repéré mon nom dans le journal Le Monde pour lequel je travaillais beaucoup à l'époque comme traductrice des pages "Débats". Il m'a appelée et m'a dit "Vous travaillez pour la presse, vous devez travailler vite". Il voulait publier un petit livre pour dénoncer les mensonges américains dans la guerre contre l'Irak, il fallait que l'ouvrage sorte avant une date butoir très, très proche. J'avais onze jours pour traduire le texte. J'ai répondu qu'il me demandait l'impossible, mais j'ai accepté à la condition qu'il me propose ensuite un roman, car je souhaitais vivement revenir à la littérature. Ce roman, ce fut By the Sea d'Abdulrazak Gurnah.
Un texte qui ne fut d’ailleurs pas publié par le Serpent à Plumes…
Tout à fait… Quand le Serpent à Plumes a fait faillite, j'avais presque terminé la traduction de Près de la mer. Je l'ai proposée à Emmanuelle Collas qui avait récemment fondé les éditions Galaade. Elle a immédiatement été intéressée, car elle venait d'acheter les droits de Desertion, du même Abdulrazak Gurnah. Et elle a publié les deux ouvrages.
Aujourd’hui Abdulrazak Gurnah est Nobel de littérature. Cela change-t-il quelque chose dans votre façon de le traduire ?
J'ai traduit Près de la mer et Adieu Zanzibar en 2006 et 2009, on était alors bien loin du Nobel. Je travaille aujourd'hui, pour les éditions Denoël, sur le dernier roman de Abdulrazak Gurnah, Afterlives, qui vient de sortir au Royaume-Uni, et je le fais avec le même respect d'un texte introspectif parfois labyrinthique, avec le même souci de la précision et de la nuance que pour les précédents. Cela ne change rien, non.
Est-ce une consécration pour une traductrice d’être demandée pour la traduction d’un Nobel ?
Quand j'ai reçu d'un ami un sms m'annonçant la nouvelle du Nobel, j'ai eu la même réaction que Gurnah, j'ai cru à une blague. Ses ouvrages n'avaient pas eu l'audience qu'ils méritaient. Bien sûr, oui, c'est une consécration, et une forme de reconnaissance après quarante ans et plus dédiés à la traduction, ses galères et ses joies.