Déménager, c'est renoncer. Mais à quoi ? À sa vie d'avant, à ses habitudes, à un peu de soi ? On le voit, à partir d'un fait banal que tout le monde a pu expérimenter, Thibaut Sallenave tisse une subtile philosophie du déménagement. Philosophe, normalien, il a consacré sa thèse à la notion de lieu commun. Et c'est bien ce qui se retrouve à travers cette expérience du changement d'adresse. D'abord parce qu'elle renvoie à notre vie la plus intime : on déménage pour des tas de raisons. Il peut s'agir de rupture, de contrainte professionnelle, d'événements familiaux. Avec de nombreux exemples que nous avons tous vécus, à commencer par celui du transport des objets et des livres, Thibaut Sallenave nous fait entrer dans ce que les Grecs appelaient l'oikos, la maison et tout ce qui nous rattache à elle.
Cette rupture d'avec la vie d'avant, il a raison de la qualifier d'« expérience cruciale de l'existence ». Certes, le déménagement n'a pas la douleur de l'exil, mais il peut générer une fracture sociale entre ceux qui peuvent partir et ceux qui restent. « Le déménagement semble moins susceptible de retenir l'attention que d'autres configurations, plus spectaculaires, de cette vie mobile. » Il nécessite aussi un effort vers cet ailleurs encore vide qu'il va falloir meubler. « Le déménagement est littéralement un va-et-vient constant, non pas seulement entre deux domiciles, mais entre deux expériences contradictoires du lieu, éprouvées tour à tour dans chacune des adresses successivement quittées et adoptées. » Pas à pas, carton par carton, Thibaut Sallenave révèle la profondeur du thème.
Il aborde la question de ce qu'on garde, ce qu'on jette et ce dont on ne peut se résoudre à se séparer. Toutes ces décisions prennent sens au moment de changer d'endroit pour vivre. Bien souvent dans cette autre chez soi, on reproduit le cocon d'avant avec la promesse d'un ailleurs qui deviendrait meilleur. En attendant, on tasse son existence dans un camion. « Alors que nous payons un psychanalyste pour pouvoir étaler notre vie devant lui, nous payons des déménageurs pour la comprimer et la compresser, dans une même rassurante indifférence. » Peut-être est-ce pour cela que certains ne déballent pas tout, d'où cette vie au milieu des caisses qu'on n'ouvre pas, parce qu'on n'y croit pas, parce qu'on espère encore pouvoir aller ailleurs mais que l'on n'ira nulle part.
Thibaut Sallenave envisage le déménagement comme une « relecture de soi » entre le lieu que l'on quitte et celui où l'on entre. « En vidant mon appartement ou ma maison, je m'évide également de moi-même. » On est à mille lieues des livres de psychologie positive. Cet ouvrage ne vous donnera aucun conseil sur la bonne manière de déménager. En revanche, il vous incitera à vous poser des questions sur ces « espèces d'espaces » comme disait Perec, sur ces endroits que nous habitons autant qu'ils nous habitent et dont nous ne prenons souvent conscience que lorsqu'on les quitte.
Changements d'adresse. Une philosophie du déménagement
L'Aube
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 20 € ; 240 p.
ISBN: 9782815946407