Thierry Hoquet travaille sur les robots, ou plutôt les cyborgs, ces êtres hybrides, entre organique et cybernétique. Thierry Hoquet n'est pas programmeur mais philosophe. Il a proposé une relecture critique du célèbre naturaliste anglais dans Darwin contre Darwin (Seuil, 2009) et introduit en France la pensée de la spécialiste des hominidés et biologiste féministe Donna Haraway, à travers Cyborg philosophie (2011, même éditeur). Quoique très pointu en son domaine, ce philosophe des sciences est loin d'être un nerd incurieux du monde extérieur. Hoquet a également écrit sur la virilité ; en cette fin d'année paraît sous sa plume chez Gallimard Mystère Mishima, un essai littéraire sur le sulfureux écrivain nippon.
Thierry Hoquet nous accueille dans son havre de bouquins et de plantes à Montreuil. Souriant, l'œil malicieux, il arbore une fine barbe poivre et sel qui masque mal son esprit d'enfance. Comme un clin d'un œil à ce qui ne veut pas passer, un pan entier du mur est tapissé d'ouvrages de l'emblématique collection pour la jeunesse « La bibliothèque verte ». Les presque humains, sur les cyborgs et autres mutants, est sorti au printemps. Le Japon, d'accord, puisque le pays du Soleil-Levant l'est aussi de la high-tech.
Mais pourquoi Mishima ? Antimoderne, fou de Grèce antique et de bodybuilding, adulateur de l'empereur, fasciste, homosexuel... Parce que Thierry Hoquet est aussi bien un grand littéraire qu'un scientifique rigoureux - nulle contradiction chez lui entre l'esprit de finesse et l'esprit de géométrie -, et n'a jamais caché son admiration pour l'écriture complexe de l'auteur du Pavillon d'or. « Au départ je voulais intituler cet essai Mishima mon amour. » Citations à l'appui (avec la version en kanji, les sinogrammes utilisés en japonais), il réhabilite les œuvres censément mineures du grand écrivain, les réintégrant dans son esthétique globale d'une beauté sublimée par la mort.
S'il a rédigé Cyborg philosophie en employant le pronom épicène « ille » pour désigner « cyborg », Thierry Hoquet n'est pas spécialement un héraut de la culture woke et assume des résistances face à une certaine pensée radicale qui entend faire tabula rasa du passé. Si disparates que paraissent les sujets que le philosophe traite, il est un fil rouge qui tient ensemble ces réflexions sur le robot, la masculinité ou Mishima en tant qu'emblème de la tension entre le dionysiaque et l'apollinien : justement, le dépassement des dualismes (nature versus culture, homme contre machine) grâce à la figure du cyborg.
Matheux et proustien, marié à un homme et père d'une fillette (qu'il a eue avec une ex-petite amie et élève en partage avec la mère), Thierry Hoquet a beau être une tête, il a bien fait la fête. Surtout lors de son coming out. Et de se remémorer la boîte gay des Champs-Élysées au milieu des années 1990 : « Je découvre les soirées disco du Queen, ça a été le tourbillon. » L'attrait du cyborg - le presque humain ? N'est-ce pas également pour conjurer la mort, ou plutôt, à l'aune de notre finitude, guetter cette humanité si frêle, lui prendre la main, comme à cette chère grand-mère espagnole, désormais disparue, qui l'éleva jusqu'à l'âge de 4 ans, et qu'il a tant aimée. Cyborg, si proche.
Mystère Mishima
Gallimard
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 18,50 € ; 348 p.
ISBN: 9782072951725